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Chapitre 25
L’organisation sioniste mondiale
Si le simple hasard, à tout moment, produit des hommes tels que
Karl Marx et le Dr Theodor Herzl aux moments où leurs actes peuvent
mener à des conséquences destructrices hors de proportion avec leur
propre importance, alors le hasard, au siècle passé, a été enrôlé dans
la conspiration contre l’Occident. L’explication la plus probable est
qu’un contrôle supérieur était déjà en charge de ces événements, et
qu’il choisit, ou en tout cas utilisa Herzl pour le rôle qu’il joua. La
brièveté de sa course à travers le firmament (comme celui d’une étoile
filante), la manière dédaigneuse avec laquelle il fut rejeté une fois sa
tâche terminée, et sa fin malheureuse appuieraient tous cette
explication.
Ceux qui ont connu Vienne et son atmosphère à notre siècle
comprendront Herzl et l’effet qu’il eut. Une monarchie déclinante et
une noblesse chancelante ; une classe de juifs s’élevant soudainement
et rapidement dans les sphères les plus hautes ; ces choses faisaient
grande impression parmi les populations juives. Le Dr Herzl, plutôt
que la Neue Freie Presse (Nouvelle Presse Libre - NdT), leur disait
maintenant comment allait le monde et informait les politiciens sur ce
qu’il fallait faire. Des Obers (garçons de café – NdT) obséquieux, dans
les cafés où l’on bavardait, s’empressaient de servir « Herr Doktor ! »
C’était entièrement nouveau, et excitant. Les Herzl et les de Blowitz de
cette époque étaient remplis de suffisance, et quand le Dr Herzl
émergea comme le faux héraut auto-proclamé de Sion, les juifs de
l’Ouest en restèrent frappés d’une crainte révérentielle et incertains. Si
le Dr Herzl pouvait parler de cette manière aux Grandes Puissances,
peut-être avait-il raison et le Sanhédrin napoléonien avait-il eu tort !
Était-il vrai que la politique se faisait dans le bureau du Dr Herzl,
et non sur la Ballhausplatz ? Si un juif de Russie avait écrit l’État juif,
ou avait essayé de fonder une Organisation sioniste mondiale, les juifs
de l’Ouest l’auraient ignoré, car ils craignaient la conspiration de l’Est
et suspectaient au moins ses implications. Mais si le Dr Herzl, un juif
occidental entièrement émancipé, pensait que les juifs devaient s’isoler
de nouveau, l’affaire devenait sérieuse.
Herzl affirmait que l’affaire Dreyfus l’avait convaincu de la réalité
de « l’antisémitisme ». L’invention du terme était alors assez récente,
bien que le Dr Kastein cherche à montrer que l’état d’âme dénoté par
ce terme est immémorial, disant : « il existe depuis l’époque où le
judaïsme entra en contact avec d’autres peuples d’une façon un peu
plus forte que l’hostilité de bon voisinage. » (Selon cette définition,
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dans la guerre, la résistance est de « l’antisémitisme », et « les voisins »,
dans les guerres tribales des époques antiques, auxquels il se réfère,
étaient des Sémites. Cependant, les mots « un contact dépassant une
hostilité de bon voisinage » offrent un bon exemple de pilpoulisme
sioniste.)
Quoi qu’il en soit, le Dr Herzl déclara que « le procès de Dreyfus a
fait de moi un sioniste », et ces mots sont aussi vides que les mots
ultérieurs de M. Lloyd George : « L’acétone m’a converti au sionisme »
(ce qui était évidemment faux). L’affaire Dreyfus donna aux juifs la
preuve complète de la validité de l’émancipation et de l’impartialité de
la justice sous cette dernière. Jamais un homme ne fut défendu aussi
publiquement par autant de personnes, ou aussi pleinement
réhabilité. Aujourd’hui, des nations entières, à l’Est de Berlin, n’ont
aucun droit à un procès légal et l’Occident, qui a signé l’acte de leur
bannissement, est indifférent à leur situation critique ; ils peuvent être
emprisonnés ou tués sans charges ni procès. Pourtant, en Occident
aujourd’hui, le cas Dreyfus, l’exemple classique de justice, continue à être cité par les propagandistes comme un exemple terrible d’injustice.
Si les arguments pour ou contre le sionisme reposaient sur l’affaire
Dreyfus, le mot aurait dû disparaître de l’histoire à ce moment-là.
Néanmoins, le
Dr Herzl exigeait que « la souveraineté nous soit
accordée sur une partie du globe assez grande pour satisfaire les prérequis
légitimes d’une nation » (il ne spécifiait aucun territoire
particulier et ne pencha pas particulièrement pour la Palestine). Pour
la première fois, l’idée de ressusciter un État juif fit l’objet de
discussions vives parmi les juifs.13 Le Jewish Chronicle de Londres
décrivit son livre comme étant « l’une des déclarations les plus
étonnantes qui aient jamais été avancées. » Herzl, ainsi encouragé, vint
à Londres, qui était alors le centre du pouvoir, pour faire campagne
pour son idée. Après des conférences réussies dans le East End de
Londres, il décida d’appeler à un Congrès des juifs pour soutenir cette
dernière.
En conséquence, en mars 1897, les juifs « du monde entier »
furent invités à envoyer des délégués à un « congrès sioniste », un
contre-Sanhédrin, à Munich, en août. Les juifs occidentaux s’y
opposèrent catégoriquement. Les rabbins d’Allemagne et ensuite les
juifs de Munich, protestèrent, et le lieu du rassemblement fut déplacé à Bâle, en Suisse. Les Reform Jews of America [les juifs nonorthodoxes
d’Amérique – NdT] avaient annoncé deux ans plus tôt qu’ils
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ne s’attendaient « ni au retour en Palestine, ni au rétablissement
d’aucune des lois concernant l’État juif. » (Une chose des plus
curieuses à relater aujourd’hui : quand le rabbin Stephen Wise, en
1899, suggéra un livre sur le sionisme à la Jewish Publication Society
of America, le secrétaire répondit, « la Société ne peut se risquer à
publier un livre sur le sionisme. »).
Quand le congrès d’Herzl eut lieu, la plupart des 197 délégués
venaient d’Europe de l’Est. Ce groupe d’hommes fonda alors « une
Organisation sioniste mondiale », qui a proclama comme objectifs la
nationalité juive et « un foyer obtenu officiellement, garanti légalement
» et Herzl déclara : « l’État juif existe. » En fait, quelques juifs,
prétendant parler pour tous les juifs, mais désavoués de manière
véhémente par de nombreux corps représentatifs de la communauté
juive occidentale, avaient tenu une réunion à Bâle, et c’était tout.
Néanmoins, la proposition, pour ce qu’elle valait dans ces
circonstances, avait enfin été mise sur la table des affaires
internationales. Le congrès fut en fait un Sanhédrin convoqué pour
annuler les aveux faits par le Sanhédrin napoléonien quatre-vingts ans
auparavant. Ce Sanhédrin-là avait rejeté la nationalité séparée et toute
ambition de former un État juif ; celui-ci proclama une nationalité
séparée et l’ambition d’un d’État. Revenant là-dessus cinquante ans
plus tard, le rabbin Elmer Berger fit observer : « C’était cela, le fossé du
nationalisme juif, qu’on devait creuser entre les juifs et les autres êtres
humains. C’était cela, était le moule permanent du ghettoïsme, à
l’intérieur duquel l’existence juive au sein des nations non émancipées
devait rester comprimée pour que les processus auto-générés
d’émancipation et d’intégration ne puissent pas entrer en jeu. »
Le Sanhédrin napoléonien avait un défaut de base, maintenant
révélé, dont Napoléon put bien ne pas être conscient. Le Sanhédrin
représentait les juifs de l’Ouest, et on ne peut raisonnablement
s’attendre à ce que Napoléon connût la force de cette masse compacte
de juifs de Russie gouvernés par le Talmud, car le Dr Herzl, qui aurait
dû savoir cela, l’ignorait ! Il en fit la découverte à ce premier Congrès
sioniste mondial, convoqué par lui dans une telle attente confiante de
soutien massif : « et alors… une communauté juive russe s’éleva sous
nos yeux, dont nous n’avions pas même soupçonné la force. Soixantedix
de nos délégués venaient de Russie, et il était évident à chacun
d’entre nous qu’ils représentaient les opinions et les sentiments des
cinq millions de juifs de ce pays. Quelle humiliation pour nous, qui
prenions notre supériorité pour acquise ! »
Le Dr Herzl se retrouva face à face avec ses maîtres et avec la
conspiration, qui par lui était sur le point d’entrer en Occident. Il avait
déclaré la guerre à l’émancipation et, comme de nombreux
successeurs, était inconscient de la nature de la force qu’il avait
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libérée. On le laissa bientôt sur le bord de la route, joueur de clairon
dont la tâche avait été accomplie, tandis que les véritables
« administrateurs » prenaient la main.
Il avait forgé l’instrument qu’ils devaient utiliser dans leur attaque
contre l’Occident. Le Dr Weizmann, qui devint le véritable leader, voit
clairement que : « Ce fut la contribution durable du Dr Herzl au
sionisme que d’avoir créé une autorité parlementaire centrale pour le
sionisme… C’était la première fois dans l’histoire de l’exil de la
communauté juive qu’un grand gouvernement avait officiellement
négocié avec les représentants élus des juifs. L’identité, la personnalité
légale des juifs, avaient été rétablies. »
Le Dr Weizmann sourit probablement intérieurement quand il
inclut les mots « parlementaire » et « élus ». La phrase du milieu
contient le fait important. On ne pouvait prêter autorité aux juifs
réunis à Bâle – et qui étaient évités par la majorité des juifs de l’Ouest
- ainsi qu’à leurs déclarations, que par le biais d’un événement, qui à
ce moment-là semblait inimaginable ; à savoir, qu’ils soient reconnus
par une grande puissance. Cette chose inconcevable arriva quelques
années plus tard, quand le gouvernement britannique offrit l’Ouganda
au Dr Herzl, et ceci est l’événement auquel le Dr Weizmann se réfère. À
partir de ce moment, toutes les grandes puissances de l’Occident
acceptèrent de fait les talmudistes de Russie comme représentants de
tous les juifs et, dès ce moment, la révolution sioniste entra aussi en
Occident.
Ainsi finit le siècle de l’émancipation, qui avait commencé par une
si brillante perspective de participation commune, et les mots
prescients de M. Houston Stewart Chamberlain (écrits juste avant le
congrès du Dr Herzl à Bâle) devinrent immédiatement vrais, et une
réalité vivante. Revenant sur les mots de Gottfried von Herder cent ans
auparavant : « Les nations plus primitives d’Europe sont des esclaves
volontaires de l’usure juive », Chamberlain écrivit qu’au cours du XIXe
siècle, « un grand changement a eu lieu… aujourd’hui, Herder pourrait
dire la même chose de ce qui est, de loin, la plus grande partie de
notre monde civilisé… L’influence directe du judaïsme sur le XIXe siècle
devient ainsi l’un des sujets brûlants du jour. Nous devons traiter ici
d’une question affectant non seulement le présent, mais aussi l’avenir
du monde. »
Avec la formation de l’Organisation sioniste mondiale, avec
laquelle les grands gouvernements de l’Occident devaient traiter, dans
les faits, comme une autorité supérieure à eux, le sujet brûlant
commença à modeler la forme entière des événements. On peut
clairement remarquer, en 1956 - à l’heure où ce livre est achevé -
qu’elle a affecté « l’avenir du monde » ; depuis le début de cette année,
les leaders politiques des grands pouvoirs qui restent en Occident, la
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Grande-Bretagne et l’Amérique ont fait observé avec des airs de
surprise affligée que la prochaine guerre mondiale pourrait à tout
moment éclater à l’endroit où ils avaient installé « l’État juif », et ils se
sont hâtés de traverser et retraverser l’océan dans l’effort de se mettre
d’accord sur quelque moyen d’empêcher cette réalisation.
13. À ce moment-là, cela n'atteignit guère l'esprit de la multitude des gentils. En 1841, un certain colonel Churchill, consul anglais à Smyrne - à la conférence des États d'Europe Centrale, destinée à déterminer l'avenir de la Syrie - avait avancé une proposition pour fonder un État juif en Palestine, mais apparemment elle avait été écartée sans grande considération. (retournez)
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