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Chapitre 38
Le petit pays lointain Dans la Palestine oubliée, pendant la décennie 1930-1940, tandis
que « Le Chef » et « Der Führer » régnaient à Washington et à Berlin, les
choses allaient de mal en pis, et finalement, un gouvernement
britannique était sur le point d’abandonner la tâche désespérée que M.
Balfour lui avait imposée (ce dernier mourut en 1930 après des adieux
au Dr Weizmann sur son lit de mort), quand, à la veille d’une autre
guerre, un certain M. Winston Churchill ré-engagea son pays envers
cette tâche. Ainsi, le peuple britannique, croyant que son seul
problème était Hitler, entra encore une fois en guerre sur des ordres
scellés, parmi lesquels se trouvait le but - dont il ne soupçonnait rien -
qui l’avait mené au bord de la défaite en 1918.
Les gouvernements britanniques successifs, dans cette affaire, se
retrouvèrent dans la situation critique du clown de cirque qui n’arrive
pas à se débarrasser du papier tue-mouches ; chaque fois qu’ils
pensaient qu’ils s’en étaient débarrassés, le Dr Weizmann le fixait à un
nouvel endroit. En Palestine, les administrateurs britanniques et les
soldats, auxquels « le mandat » avait été imposé, ne pouvaient faire
leur devoir. Les Arabes se rebellaient obstinément ; les sionistes à
Londres harcelaient le gouvernement pour qu’il emploie la force contre
les Arabes ; si les hommes sur place essayaient d’agir impartialement
entre les différentes parties, les ordres venus du pays les
restreignaient.
L’histoire britannique à l’étranger est probablement justifiée par
des résultats dans chaque cas, sauf celui-ci. Elle produisit des nations
libres étrangères dans des pays vides ; et dans des pays conquis
peuplés par d’autres, l’intention souvent proclamée (et toujours raillée)
qui est de relever le vaincu, et de partir ensuite, est mise en
application ; l’Inde n’en est qu’une preuve parmi d’autres. Dans le cas
de la Palestine, toutes les règles précédemment suivies par la Grande-
Bretagne à l’étranger furent violées, et toute l’expérience ramenée à
rien, sous la « pression » exercée à Londres, ou depuis d’autres
capitales si jamais Londres hésitait.
Ainsi, les fonctionnaires et les troupes britanniques envoyés en
Palestine étaient-ils les plus malheureux dans l’histoire britannique
(de manière caractéristique, le seul homme parmi ces derniers qui fut
publiquement honoré après leur départ était un traître). Ils savaient
comment administrer un véritable « protectorat » ; ce mot possède une
signification honnête, de même que le faux nom qu’Hitler lui donna
d’un ton moqueur en Tchécoslovaquie. L’occupation avec le
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consentement ou sur l’invitation d’habitants indigènes peut être une
chose admirable. J’ai voyagé dans un tel authentique « protectorat », le
Basutoland 37. Les Anglais s’y rendirent sur la requête des Basotho, et
la conséquence fut que les Basotho ont survécu comme une nation
libre, là où ils auraient autrement été asservis par des voisins plus
forts. Leur sort et leurs perspectives sont aujourd’hui meilleurs qu’ils
auraient pu le devenir de toute autre façon, et ils le comprennent, si
bien que quelques douzaines d’administrateurs blancs dirigent
660 000 Bashotos dans une estime mutuelle.
On exigea des Anglais en Palestine, pour la première fois dans
l’histoire de leur nation, qu’ils répriment le peuple qu’ils étaient venus
« protéger » et qu’ils en protègent un autre qui était en fait un peuple
d’envahisseurs venu de Russie. La corruption du « pouvoir civil » en
Angleterre, depuis l’époque de M. Balfour, atteignit ce résultat. La
maxime suprême du constitutionalisme occidental est que le « pouvoir
civil » doit toujours être supérieur au pouvoir militaire, afin que les
régimes militaristes ne puissent pas émerger. Mais si le pouvoir civil
cède aux préceptes d’un tiers secret aux buts militaires, il devient en
fait inférieur à un pouvoir militaire, bien qu’il ne devienne pas inférieur
à ses généraux natifs. De cette façon, on prend le contre-pied de la
maxime suprême, parce que les forces armées d’une nation peuvent
alors être mises au service d’intérêts étrangers et destructeurs pour les
siens propres. C’est ce qui arriva en Palestine.
La répression des Arabes locaux comme « rebelles » n’aida pas le
sionisme en Palestine. Au début de la décennie 1930-1940, la montée
d’Hitler renforça la position du sionisme dans les groupes de pression
de Londres et Washington, mais cette amélioration fut contrebalancée
par la nouvelle détérioration qui eut lieu en Palestine même, à mesure
que la décennie s’avançait. Pendant cette période postérieure, le Dr
Weizmann, qui de 1904 à 1919 avait concentré ses efforts sur le
gouvernement britannique, étendit ses activités à deux nouveaux
endroits ; son orbite couvrait « Jérusalem, Londres et New York », et il
traitait avec les Premiers ministres britanniques comme un homme
taillant des bâtons au couteau.
Sa victime suivante fut encore une fois M. Ramsay MacDonald,
qui, après la désertion de ses collègues socialistes, devint Premier
ministre d’un gouvernement de coalition de tous les autres partis. Le
jeune Jimmy MacDonald de Lossiemouth, pauvre garçon d’Écosse qui
avait fait son chemin, était à ce moment-là M. Ramsay MacDonald,
aux cheveux flottants grisonnants. Il fit nommer son fils, M. Malcolm
Macdonald, sous-secrétaire aux colonies, et sur ce, les deux
MacDonald quittèrent le pays de rêve heureux de la rhétorique des
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tribunes socialistes pour le monde froid et dur de « la pression
irrésistible. » M. MacDonald avait de nouveau l’intention d’arrêter les
combats et les troubles sans fin en Palestine, qui avaient à ce momentlà
fait beaucoup de victimes britanniques, et annonça rapidement que
son gouvernement suspendrait l’immigration sioniste, réglerait les
achats sionistes de terres, et punirait les incitations au désordre « d’où
qu’elles puissent provenir. »
M. MacDonald devint immédiatement l’objet d’attaques violentes
et commença à prendre la mine perplexe pour laquelle il devint célèbre
(et que je pus observer quand je le rencontrai en 1935). Il reçut la
visite du Dr Weizmann et de trois associés sionistes, et fut accusé de
« traiter de de façon quelque peu frivole » « les implications morales des
promesses faites aux juifs » (Dr Weizmann). Les politiciens principaux
dans son propre pays, en Amérique et en Afrique du Sud,
commencèrent une campagne furieuse contre lui. Intimidé une
seconde fois, il nomma un Comité de cabinet extraordinaire pour
reconsidérer la maintes-fois-considérée « politique de la Palestine ». Un
ministre socialiste, M. Arthur Henderson, en était le président, et M.
Malcolm MacDonald en était le secrétaire ; le Dr Weizmann et six
sionistes majeurs formaient « le comité » ; les Arabes, comme
d’habitude, n’étaient pas représentés.
Le
Dr Weizmann attaqua violemment l’engagement de punir les
incitations au désordre d’où qu’ils viennent ; le désordre, la violence et
le massacre, dit-il, provenaient uniquement des Arabes indigènes. M.
MacDonald capitula de nouveau dans une lettre au Dr Weizmann,
sous les termes de laquelle l’immigration sioniste en Palestine en 1934
et 1935 excédait tous les chiffres précédents.
S’étant occupé de M. MacDonald, le Dr Weizmann entreprit le
grand tour. Tandis que la Seconde Guerre s’approchait, il était
partout, en Afrique du Sud, Turquie, France, Italie, Belgique et
d’autres pays. En France, il rencontra « tous les Premiers ministres
entre les deux guerres », et parmi ceux-ci, il trouva que M Léon Blum,
un coreligionnaire, était particulièrement compatissant. M. Aristide
Briand, le ministre des Affaires étrangères, était également bien
disposé « bien qu’un peu vague quant à ce qui se passait » (le Dr
Weizmann se réfère souvent en de tels termes aux politiciens
occidentaux qui obéissaient à ses ordres). Il vit Mussolini trois fois. Il
parla, devant des auditoires distingués, des iniquités d’Hitler et leur dit
qu’à cet égard, il en était « de la responsabilité du monde civilisé »
d’expulser les Arabes palestiniens (il ne l’exprima pas de façon si
claire).
Néanmoins, vers la fin des années 1930, le sionisme en Palestine
se désagrégeait à nouveau. Sans la Seconde Guerre, il serait tombé
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dans l’oubli, raid de Jameson38 arabe entrepris dans l’irresponsabilité
et terminé de façon ignominieuse.
En 1936, les émeutes arabes devinrent encore plus violentes.
Jusque-là, les gouvernements britanniques successifs, sur l’ordre des
sionistes, avaient refusé pendant quatorze ans de permettre aux
Arabes d’avoir des élections. Avec le temps, l’argument du Dr
Weizmann comme quoi ce refus était l’essence de la « démocratie »,
perdit son attrait, et le gouvernement britannique se trouva face à un
dilemme de plus en plus difficile. M. Stanley Baldwin (succédant à M.
MacDonald) recourut à la vieille procédure du « casier des affaires en
souffrance » ; il envoya une nouvelle commission d’enquête (la
cinquième ?) en Palestine, et, à ce stade, la chose devint une farce
grotesque.
Le Dr Weizmann et son garde du corps avait effrayé M. MacDonald
pour lui faire annuler une « politique de la Palestine » annoncée après
une pleine consultation avec ses conseillers responsables. Et là, alors
que M. Baldwin envoyait une commission en Palestine pour découvrir
une politique alternative, elle était reçue par le Dr Weizmann ! Avec
agilité, il fit un aller-retour Londres-Jérusalem, disant au
gouvernement britannique à Londres ce qu’il fallait faire, à leurs
commissaires en Palestine ce qu’il fallait rapporter, et au
gouvernement britannique à Londres, à nouveau, ce qu’il devrait faire
avec le rapport quand il arriverait. (Dans l’intervalle, il se rendit à New
York pour prendre des dispositions pour que plus de « pression » vienne de cette zone).
Cette Commission Peel reçut de quelque milieu une proposition
selon laquelle le dilemme éternel pourrait être résolu en divisant la
Palestine, et elle consulta promptement le Dr Weizmann. Jusqu’à ce
moment, le prétexte avait été entretenu, à travers les années, que les
sionistes ne revendiquaient pas un État juif, mais seulement le « foyer
national. » Le Dr Weizmann savait que si un gouvernement britannique
pouvait être amené un jour à soutenir la « partition », il s’engagerait au
final à un État juif séparé.
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Sa maîtrise asiatique de l’art de la négociation force l’admiration.
En invoquant l’Ancien Testament, il établit fermement l’idée de la
partition sans s’engager à aucune frontière. Il dit qu’il serait peut-être
capable de faire quelques concessions à propos du territoire réel qui
devait être pris pour ses sionistes, puisque Jéhovah n’avait pas
indiqué de frontières précises dans ses révélations aux Lévites. Ce qui
acceptait l’offre de territoire en laissant ouverte la question entière des
frontières, de sorte même la « partition », manifestement, ne serait pas
une solution. Les mots par lesquels le Dr Weizmann soutint la division
présentent un intérêt, à la lumière des événements postérieurs : « Les
Arabes ont peur que nous absorbions toute la Palestine. Peu importe
ce que nous pouvons dire sur la conservation de leurs droits, la crainte
les domine et on ne leur fera pas entendre raison. Un État juif aux
frontières définies internationalement garanties serait quelque chose
de définitif ; la transgression de ces frontières serait un acte de guerre
que les juifs ne commettraient pas, pas simplement à cause de ses
implications morales, mais parce qu’il soulèverait le monde entier contre
eux. »
La Commission Peel recommanda la partition et déclara que « le
mandat » était inapplicable. Si le gouvernement britannique s’était
conformé à ce rapport et s’était promptement retiré de la Palestine,
beaucoup aurait été épargné à l’humanité, mais en deux ans, la
Seconde Guerre mondiale la réimpliqua dans le problème insoluble.
Alors que la guerre approchait, le Dr Weizmann continuait à
assiéger les politiciens occidentaux avec l’argument que « le Foyer
national juif jouerait un rôle vraiment considérable dans cette partie
du monde, en tant qu’allié fiable des démocraties. » Par cela il voulait
dire que la demande d’armes par les sionistes pour s’emparer de force
de la Palestine, ce qui était sur le point de s’accomplir, serait présentée
de cette façon, par les politiciens et la presse, au public de l’Occident.
En 1938, il proposa alors à M. Ormsby-Gore, le secrétaire colonial
britannique, que l’on permette aux sionistes de former une force de
l’ordre de 40 000 hommes. Cela présupposait que la guerre inutile
arriverait (une attente sur laquelle les hommes importants dans les
coulisses étaient apparemment tous d’accord), et le Dr Weizmann fit
tout ce qu’il pouvait pour s’en assurer, utilisant la cause des juifs
comme seul argument. Après le meurtre de von Rath et les désordres
antisémites en Allemagne, il dit à M. Anthony Eden :
« Si on permet à un gouvernement de détruire une communauté
entière qui n’a commis aucun crime… cela signifie le début de
l’anarchie et la destruction du fondement de la civilisation. Les
puissances qui restent là à observer sans prendre aucune mesure
pour empêcher le crime recevront un jour une punition sévère. »
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La persécution des hommes par Hitler était ignorée dans ces
entrevues privées et fatidiques des antichambres politiques ; la
situation critique d’une seule « communauté » fut avancée comme
l’argument pour faire la guerre. Les sionistes, comme les événements
l’ont montré, étaient déterminés à détruire « une communauté entière
qui n’avait commis aucun crime » (les Arabes de Palestine, qui ne
savaient rien d’Hitler), et les armes qu’ils exigeaient furent utilisées
dans ce but. De façon significative, le Dr Weizmann formule son
argument en termes de doctrine chrétienne ; dans cet enseignement, la
destruction d’une communauté innocente de crime est un crime qui
apportera une « punition sévère. » Sous la Loi lévitique, cependant, que
le Dr Weizmann invoquait comme base de sa demande de la Palestine,
c’est (la destruction) « la loi et le commandement » principal, qui doit
être récompensé par le pouvoir et le trésor, et non puni.
Au cours des derniers douze mois avant la Seconde Guerre, les
arbitres secrets du pouvoir exercèrent leur effort maximal afin de
gagner le contrôle des hommes et des événements. M. Roosevelt était
« engagé », mais ne pouvait être utilisé qu’à une étape postérieure. En
Angleterre, M. Baldwin, le châtelain et industriel du Worcestershire,
céda la place à l’homme d’affaires de Birmingham, M. Neville
Chamberlain, en qui surgit un obstacle sérieux à l’exercice de la
« pression irrésistible » dans les coulisses.
Le nom de M. Chamberlain est lié à l’acte ultime et fatal
d’encouragement pour Hitler : l’abandon et la reddition imposée de la
Tchécoslovaquie à Munich. Pendant quelques semaines, les foules
publiques pensèrent qu’il avait sauvegardé la paix par cet acte, et à ce
instant-là, à Budapest et Prague, je compris pour la première fois ce ce
que Thomas Jefferson voulut dire quand il déclara : « Je regarde
vraiment avec commisération la grande masse de mes concitoyens qui,
lisant les journaux, vivent et meurent dans la croyance qu’ils ont su
quelque chose de ce qui s’est passé dans le monde à leur époque. »
Néanmoins, M. Chamberlain s’estima peut-être contraint d’agir
ainsi à cause de l’état de faiblesse et du manque de préparation
britanniques, son prédécesseur, M. Baldwin, ayant permis que cela
arrive. Je crois qu’il avait tort, si c’est bien ce qu’il estimait ; même à
ce dernier moment, la fermeté aurait sauvé la situation, parce que les
généraux allemands étaient prêts à renverser Hitler ; mais il fut peutêtre
honnêtement convaincu qu’il ne pouvait agir autrement. Là où il
se trompa de façon inexcusable, ce fut dans sa description de l’acte de
Munich comme quelque chose de moralement juste, et dans son
renforcement de cette affirmation avec des allusions à « un petit pays
très lointain avec lequel nous n’avons rien à faire », ou des paroles
similaires.
412
Cependant, il était au moins cohérent dans cette dernière attitude.
Il voulait désenchevêtrer l’Angleterre de son imbroglio dans un autre
petit pays lointain, où elle n’avait trouvé que les épreuves léguées par
M. Balfour. Ce qu’il fit lui attira l’hostilité acerbe des puissants derrière
les scènes politiques, et à mon avis, la vraie source de son
renversement pourrait bien avoir été la même que celle de M. Asquith
en 1916.
1938, quand le mot « partition » retentit, fut l’année la plus
sanglante en Palestine qui avait eu lieu jusque-là ; 1 500 Arabes furent
tués. La Commission Peel avait recommandé la partition, mais ne put
suggérer comment elle pouvait être effectuée. Pourtant, on envoya un
autre groupes d’enquêteurs, cette fois à la recherche du moyen de
couper en deux le nouveau-né sans le tuer. Cette Commission
Woodhead rapporta en octobre 1938 qu’elle ne pouvait pas concevoir
de plan faisable ; en novembre, le meurtre de von Rath et les désordres
antisémites qui le suivirent en Allemagne furent utilisés par les
sionistes pour intensifier leurs exhortations contre les Arabes en
Palestine.
M. Chamberlain fit alors une chose extraordinaire, selon les
critères dominants. Il convoqua une conférence sur la Palestine à
Londres, à laquelle les Arabes (pour la première fois depuis la
Conférence de Paix de 1919) étaient représentés. De cette conférence,
sortit le Livre blanc de mars 1939, dans lequel le gouvernement
britannique s’engagea à « l’établissement en dix ans d’un État
palestinien indépendant » et à « la terminaison du mandat. » Dans cet
État, les natifs arabes et les sionistes immigrants devaient partager le
gouvernement d’une façon propre à garantir que les intérêts essentiels
de chaque communauté soient sauvegardés. L’immigration juive devait
être limitée à 75 000 annuellement pendant cinq ans, et les achats de
terre irrévocables devaient être limités.
Ce plan, s’il était réalisé, signifiait enfin la paix en Palestine, mais
aucun État juif séparé. À ce moment, la figure de M. Winston
Churchill s’avança au premier rang des affaires britanniques. Il avait
été éclipsé politiquement pendant dix ans, et le futur chercheur sera
peut-être intéressé de savoir ce que les contemporains ont déjà oublié :
que pendant cette période, cet homme fut fortement impopulaire, non
à cause d’actes ou de traits spécifiques, mais parce qu’on lui donna
constamment « mauvaise presse », ce qui est l’arme la plus forte entre
les mains de ceux qui contrôlent l’avancement politique. Cette hostilité
organisée fut particulièrement claire pendant la crise d’abdication de
1937, où ses réclamations de plus de temps reçurent une attaque
beaucoup plus violente qu’elles ne le méritaient en soi, et où il fut hué à la Chambre des communes. Ses biographes le dépeignent comme
souffrant de dépression pendant ces années, se pensant lui-même
413
« fini » politiquement. Son sentiment à cet égard est peut-être reflété
dans ses mots publiés (écrits en privé) destinés à M. Bernard Baruch,
au début de 1939 : « La guerre est imminente. Nous y serons et vous y
serez. Vous ferez marcher l’affaire là-bas, mais je serai sur le banc de
touche ici. »
Peu après avoir écrit ceci, les fortunes politiques de M. Churchill
prirent une tournure heureuse soudaine, et (comme dans le cas de M.
Lloyd George en 1916), il semble que son attitude envers le sionisme
eut beaucoup à voir avec cela, à en juger par ce qui a été publié. Ses
archives suggèrent à cet égard que M. Churchill, le produit de
Blenheim et Brooklyn, fut en quelque sorte « une charade à l’intérieur
d’un mystère enveloppé dans une énigme », pour utiliser les mots qu’il
employa à propos de l’État communiste en 1939. En 1906, comme on
l’a montré, il fut parmi les premiers politiciens à soutenir le sionisme
pendant la campagne électorale, si bien qu’un orateur sioniste dit que
tout juif qui votait contre lui était un traître. Cependant, alors qu’il
était en fonction pendant la Première Guerre, il prit peu part à cette
affaire, et le Dr Weizmann ne le mentionne qu’une fois à cette période,
et non comme « un ami ». Puis, comme secrétaire colonial en 1922, il
offensa Sion par son Livre blanc, que le Dr Weizmann qualifie de
« grave réduction de la Déclaration Balfour ». Ce Livre proposait pour la
Palestine « un Conseil législatif avec une majorité de membres élus », et
cela aurait signifié non seulement que ces élections - que le Dr
Weizmann interdit jusqu’à la fin - auraient lieu, mais que l’on
autoriserait aux Arabes autochtones de Palestine de diriger leur propre
pays !
Ainsi, les dix années de M. Churchill dans le désert politique,
1929-1939, furent-elle aussi les années pendant lesquelles il fut en
défaveur auprès des sionistes, et le récit du Dr Weizmann ne le
mentionne jamais jusqu’à la veille de la Seconde Guerre, quand
soudainement il est « découvert » (comme les dramaturges avaient
l’habitude de dire) comme un champion du sionisme des plus ardents.
Ce qui est des plus plus curieux, parce que le 20 octobre 1938, M.
Churchill parlait toujours comme l’auteur du Livre blanc de 1922 :
« Nous devrions… donner aux Arabes une garantie solennelle… que le
quota annuel d’immigration juive ne devrait pas excéder un certain
chiffre pour une durée d’au moins dix ans. » Très peu de temps après,
il réapparaît dans le récit du Dr Weizmann comme un homme
acceptant, implicitement et en privé, de soutenir une immigration
sioniste par millions.
Tout à fait soudainement, le Dr Weizmann dit qu’en 1939, il
« rencontra[i] M. Winston Churchill » (ignoré dans son histoire
pendant dix-sept ans) « et il me dit qu’il participerait au débat, en
s’exprimant bien sûr contre le Livre blanc proposé. » Le lecteur devra
414
deviner pourquoi M. Churchill s’engagea « bien sûr » à s’exprimer
contre un document qui, de par son accent sur le besoin de rendre
justice aux Arabes, était en accord avec son propre Livre blanc de
1922 et avec ses discours qui suivirent pendant dix-sept ans.
Puis, le jour de ce débat, le Dr Weizmann fut invité à déjeuner
avec M. Churchill « qui nous lut à haute voix son discours » et
demanda si le Dr Weizmann avait des modifications à suggérer. Le
lecteur se rappellera que les éditeurs du Times et du Manchester
Guardian écrivaient des articles éditoriaux à propos du sionisme après
consultation avec le chef d’une partie concernée ; là, M. Churchill
approchait un débat sur une question majeure de politique nationale
de la même manière. Il était renommé pour la qualité de ses discours,
et le devint en Amérique à cause du fait étrange (tel qu’il était
considéré là-bas) qu’il les écrivait lui-même. Cependant, dans les
circonstances décrites au-dessus par le Dr Weizmann, la question de
l’identité réelle du calligraphe apparaît d’importance mineure.
À ce moment-là, le « patronage» de M. Churchill (pour citer le Dr
Weizmann) était vain ; le grand débat aboutit à la victoire de M.
Chamberlain et de son Livre blanc, par une majorité de 268 contre
179. C’était substantiel, mais de nombreux politiciens sentaient déjà la
direction du vent, et leur instinct de navigateurs est reflété par le
nombre inhabituellement grand d’abstentions : 110. Ce qui donnait un
premier avertissement à M. Chamberlain de la méthode d’abandon au
sein de son propre parti, par laquelle il devait être renversé. Le débat
montra une autre chose intéressante, à savoir, que le parti
d’opposition à ce moment-là considérait le sionisme comme un
principe suprême de sa politique et, en fait, le test suprême par lequel
un homme pouvait prouver qu’il était un « socialiste » ou non ! Le Parti
socialiste naissant avait oublié depuis longtemps les maux de l’homme
au travail, la situation critique de l’opprimé et le triste sort du
« perdant » ; il était pris dans l’intrigue internationale et voulait être du
côté du patron. Ainsi, M. Herbert Morrison, un leader socialiste,
pointait-t-il un doigt accusateur vers M. Malcolm MacDonald (dont le
département était étroitement identifié avec le Livre blanc) et se
lamentait sur l’hérésie d’un homme qui « était autrefois un socialiste ».
Le socialisme signifiait aussi à ce moment-là chasser les Arabes de
Palestine, et les notables des syndicats, avec leurs montres en or
offertes, ne se souciaient pas du fait que ce peuple lointain soit pauvre
ou opprimé.
La Seconde Guerre éclata peu après l’édition du Livre blanc et le
débat. Immédiatement, toute idée « d’établissement d’une Palestine
indépendante » et de « terminaison du mandat » fut suspendue, pour
la durée de la guerre (et quand elle prit fin, une image très différente
devait être dévoilée). À son début, M. Roosevelt en Amérique s’était
415
« publiquement et officieusement engagé » à soutenir le sionisme (M.
Harry Hopkins). En Angleterre, M. Chamberlain était un obstacle, mais
il était proche de la sortie. M. Churchill était, lui, proche de l’entrée. Le
peuple le voulait, parce qu’il était « l’homme qui avait eu raison » à
propos d’Hitler et de la guerre ; ils ne savaient rien de ses pourparlers
avec le Dr Weizmann et des effets que ceux-ci pourraient produire.
37. Le Basutoland fut l'ancien nom du Lesotho jusqu'à son indépendance face au Royaume- Uni en 1966 - NdT (retournez)
38. Leander Starr Jameson (1853-1917) était un colonialiste britannique et Premier ministre de la colonie du Cap en Afrique du Sud. En 1895, suite aux conflits politiques entre Rhodes et Kruger, Jameson rassembla une armée privée pour renverser le gouvernement du Transvaal sous prétexte de protéger les travailleurs étrangers en révolte contre le gouvernement autoritaire de la république. Le 29 décembre 1895, il lança depuis le Bechuanaland un raid contre le Transvaal - connu sous le nom de raid Jameson. Le 2 janvier 1896, le général Cronjé le fit prisonnier mais à la suite de tractations entre le Transvaal et la Grande-Bretagne, il fut remis en liberté et expulsé. L’échec de cette tentative de coup d’État fut cuisant. Jugé en Grande-Bretagne pour avoir conduit le raid, Jameson fut condamné à 15 mois de prison mais obtint vite son absolution. Son échec au Transvaal rejaillit cependant sur son ami Cecil Rhodes qui fut alors contraint de démissionner de son poste de Premier ministre du Cap - NdT source : Wikipédia (retournez)
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