La Controverse de Sion

par Douglas Reed

 

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Chapitre 38

 

 

Le petit pays lointain

Dans la Palestine oubliée, pendant la décennie 1930-1940, tandis que « Le Chef » et « Der Führer » régnaient à Washington et à Berlin, les choses allaient de mal en pis, et finalement, un gouvernement britannique était sur le point d’abandonner la tâche désespérée que M. Balfour lui avait imposée (ce dernier mourut en 1930 après des adieux au Dr Weizmann sur son lit de mort), quand, à la veille d’une autre guerre, un certain M. Winston Churchill ré-engagea son pays envers cette tâche. Ainsi, le peuple britannique, croyant que son seul problème était Hitler, entra encore une fois en guerre sur des ordres scellés, parmi lesquels se trouvait le but - dont il ne soupçonnait rien - qui l’avait mené au bord de la défaite en 1918.

Les gouvernements britanniques successifs, dans cette affaire, se retrouvèrent dans la situation critique du clown de cirque qui n’arrive pas à se débarrasser du papier tue-mouches ; chaque fois qu’ils pensaient qu’ils s’en étaient débarrassés, le Dr Weizmann le fixait à un nouvel endroit. En Palestine, les administrateurs britanniques et les soldats, auxquels « le mandat » avait été imposé, ne pouvaient faire leur devoir. Les Arabes se rebellaient obstinément ; les sionistes à Londres harcelaient le gouvernement pour qu’il emploie la force contre les Arabes ; si les hommes sur place essayaient d’agir impartialement entre les différentes parties, les ordres venus du pays les restreignaient.

L’histoire britannique à l’étranger est probablement justifiée par des résultats dans chaque cas, sauf celui-ci. Elle produisit des nations libres étrangères dans des pays vides ; et dans des pays conquis peuplés par d’autres, l’intention souvent proclamée (et toujours raillée) qui est de relever le vaincu, et de partir ensuite, est mise en application ; l’Inde n’en est qu’une preuve parmi d’autres. Dans le cas de la Palestine, toutes les règles précédemment suivies par la Grande- Bretagne à l’étranger furent violées, et toute l’expérience ramenée à rien, sous la « pression » exercée à Londres, ou depuis d’autres capitales si jamais Londres hésitait.

Ainsi, les fonctionnaires et les troupes britanniques envoyés en Palestine étaient-ils les plus malheureux dans l’histoire britannique (de manière caractéristique, le seul homme parmi ces derniers qui fut publiquement honoré après leur départ était un traître). Ils savaient comment administrer un véritable « protectorat » ; ce mot possède une signification honnête, de même que le faux nom qu’Hitler lui donna d’un ton moqueur en Tchécoslovaquie. L’occupation avec le

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consentement ou sur l’invitation d’habitants indigènes peut être une chose admirable. J’ai voyagé dans un tel authentique « protectorat », le Basutoland 37. Les Anglais s’y rendirent sur la requête des Basotho, et la conséquence fut que les Basotho ont survécu comme une nation libre, là où ils auraient autrement été asservis par des voisins plus forts. Leur sort et leurs perspectives sont aujourd’hui meilleurs qu’ils auraient pu le devenir de toute autre façon, et ils le comprennent, si bien que quelques douzaines d’administrateurs blancs dirigent 660 000 Bashotos dans une estime mutuelle.

On exigea des Anglais en Palestine, pour la première fois dans l’histoire de leur nation, qu’ils répriment le peuple qu’ils étaient venus « protéger » et qu’ils en protègent un autre qui était en fait un peuple d’envahisseurs venu de Russie. La corruption du « pouvoir civil » en Angleterre, depuis l’époque de M. Balfour, atteignit ce résultat. La maxime suprême du constitutionalisme occidental est que le « pouvoir civil » doit toujours être supérieur au pouvoir militaire, afin que les régimes militaristes ne puissent pas émerger. Mais si le pouvoir civil cède aux préceptes d’un tiers secret aux buts militaires, il devient en fait inférieur à un pouvoir militaire, bien qu’il ne devienne pas inférieur à ses généraux natifs. De cette façon, on prend le contre-pied de la maxime suprême, parce que les forces armées d’une nation peuvent alors être mises au service d’intérêts étrangers et destructeurs pour les siens propres. C’est ce qui arriva en Palestine.

La répression des Arabes locaux comme « rebelles » n’aida pas le sionisme en Palestine. Au début de la décennie 1930-1940, la montée d’Hitler renforça la position du sionisme dans les groupes de pression de Londres et Washington, mais cette amélioration fut contrebalancée par la nouvelle détérioration qui eut lieu en Palestine même, à mesure que la décennie s’avançait. Pendant cette période postérieure, le Dr Weizmann, qui de 1904 à 1919 avait concentré ses efforts sur le gouvernement britannique, étendit ses activités à deux nouveaux endroits ; son orbite couvrait « Jérusalem, Londres et New York », et il traitait avec les Premiers ministres britanniques comme un homme taillant des bâtons au couteau.

Sa victime suivante fut encore une fois M. Ramsay MacDonald, qui, après la désertion de ses collègues socialistes, devint Premier ministre d’un gouvernement de coalition de tous les autres partis. Le jeune Jimmy MacDonald de Lossiemouth, pauvre garçon d’Écosse qui avait fait son chemin, était à ce moment-là M. Ramsay MacDonald, aux cheveux flottants grisonnants. Il fit nommer son fils, M. Malcolm Macdonald, sous-secrétaire aux colonies, et sur ce, les deux MacDonald quittèrent le pays de rêve heureux de la rhétorique des

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tribunes socialistes pour le monde froid et dur de « la pression irrésistible. » M. MacDonald avait de nouveau l’intention d’arrêter les combats et les troubles sans fin en Palestine, qui avaient à ce momentlà fait beaucoup de victimes britanniques, et annonça rapidement que son gouvernement suspendrait l’immigration sioniste, réglerait les achats sionistes de terres, et punirait les incitations au désordre « d’où qu’elles puissent provenir. »

M. MacDonald devint immédiatement l’objet d’attaques violentes et commença à prendre la mine perplexe pour laquelle il devint célèbre (et que je pus observer quand je le rencontrai en 1935). Il reçut la visite du Dr Weizmann et de trois associés sionistes, et fut accusé de « traiter de de façon quelque peu frivole » « les implications morales des promesses faites aux juifs » (Dr Weizmann). Les politiciens principaux dans son propre pays, en Amérique et en Afrique du Sud, commencèrent une campagne furieuse contre lui. Intimidé une seconde fois, il nomma un Comité de cabinet extraordinaire pour reconsidérer la maintes-fois-considérée « politique de la Palestine ». Un ministre socialiste, M. Arthur Henderson, en était le président, et M. Malcolm MacDonald en était le secrétaire ; le Dr Weizmann et six sionistes majeurs formaient « le comité » ; les Arabes, comme d’habitude, n’étaient pas représentés. Le Dr Weizmann attaqua violemment l’engagement de punir les incitations au désordre d’où qu’ils viennent ; le désordre, la violence et le massacre, dit-il, provenaient uniquement des Arabes indigènes. M. MacDonald capitula de nouveau dans une lettre au Dr Weizmann, sous les termes de laquelle l’immigration sioniste en Palestine en 1934 et 1935 excédait tous les chiffres précédents. S’étant occupé de M. MacDonald, le Dr Weizmann entreprit le grand tour. Tandis que la Seconde Guerre s’approchait, il était partout, en Afrique du Sud, Turquie, France, Italie, Belgique et d’autres pays. En France, il rencontra « tous les Premiers ministres entre les deux guerres », et parmi ceux-ci, il trouva que M Léon Blum, un coreligionnaire, était particulièrement compatissant. M. Aristide Briand, le ministre des Affaires étrangères, était également bien disposé « bien qu’un peu vague quant à ce qui se passait » (le Dr Weizmann se réfère souvent en de tels termes aux politiciens occidentaux qui obéissaient à ses ordres). Il vit Mussolini trois fois. Il parla, devant des auditoires distingués, des iniquités d’Hitler et leur dit qu’à cet égard, il en était « de la responsabilité du monde civilisé » d’expulser les Arabes palestiniens (il ne l’exprima pas de façon si claire).

Néanmoins, vers la fin des années 1930, le sionisme en Palestine se désagrégeait à nouveau. Sans la Seconde Guerre, il serait tombé

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dans l’oubli, raid de Jameson38 arabe entrepris dans l’irresponsabilité et terminé de façon ignominieuse.

En 1936, les émeutes arabes devinrent encore plus violentes. Jusque-là, les gouvernements britanniques successifs, sur l’ordre des sionistes, avaient refusé pendant quatorze ans de permettre aux Arabes d’avoir des élections. Avec le temps, l’argument du Dr Weizmann comme quoi ce refus était l’essence de la « démocratie », perdit son attrait, et le gouvernement britannique se trouva face à un dilemme de plus en plus difficile. M. Stanley Baldwin (succédant à M. MacDonald) recourut à la vieille procédure du « casier des affaires en souffrance » ; il envoya une nouvelle commission d’enquête (la cinquième ?) en Palestine, et, à ce stade, la chose devint une farce grotesque.

Le Dr Weizmann et son garde du corps avait effrayé M. MacDonald pour lui faire annuler une « politique de la Palestine » annoncée après une pleine consultation avec ses conseillers responsables. Et là, alors que M. Baldwin envoyait une commission en Palestine pour découvrir une politique alternative, elle était reçue par le Dr Weizmann ! Avec agilité, il fit un aller-retour Londres-Jérusalem, disant au gouvernement britannique à Londres ce qu’il fallait faire, à leurs commissaires en Palestine ce qu’il fallait rapporter, et au gouvernement britannique à Londres, à nouveau, ce qu’il devrait faire avec le rapport quand il arriverait. (Dans l’intervalle, il se rendit à New York pour prendre des dispositions pour que plus de « pression » vienne de cette zone).

Cette Commission Peel reçut de quelque milieu une proposition selon laquelle le dilemme éternel pourrait être résolu en divisant la Palestine, et elle consulta promptement le Dr Weizmann. Jusqu’à ce moment, le prétexte avait été entretenu, à travers les années, que les sionistes ne revendiquaient pas un État juif, mais seulement le « foyer national. » Le Dr Weizmann savait que si un gouvernement britannique pouvait être amené un jour à soutenir la « partition », il s’engagerait au final à un État juif séparé.

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Sa maîtrise asiatique de l’art de la négociation force l’admiration. En invoquant l’Ancien Testament, il établit fermement l’idée de la partition sans s’engager à aucune frontière. Il dit qu’il serait peut-être capable de faire quelques concessions à propos du territoire réel qui devait être pris pour ses sionistes, puisque Jéhovah n’avait pas indiqué de frontières précises dans ses révélations aux Lévites. Ce qui acceptait l’offre de territoire en laissant ouverte la question entière des frontières, de sorte même la « partition », manifestement, ne serait pas une solution. Les mots par lesquels le Dr Weizmann soutint la division présentent un intérêt, à la lumière des événements postérieurs : « Les Arabes ont peur que nous absorbions toute la Palestine. Peu importe ce que nous pouvons dire sur la conservation de leurs droits, la crainte les domine et on ne leur fera pas entendre raison. Un État juif aux frontières définies internationalement garanties serait quelque chose de définitif ; la transgression de ces frontières serait un acte de guerre que les juifs ne commettraient pas, pas simplement à cause de ses implications morales, mais parce qu’il soulèverait le monde entier contre eux. »

La Commission Peel recommanda la partition et déclara que « le mandat » était inapplicable. Si le gouvernement britannique s’était conformé à ce rapport et s’était promptement retiré de la Palestine, beaucoup aurait été épargné à l’humanité, mais en deux ans, la Seconde Guerre mondiale la réimpliqua dans le problème insoluble.

Alors que la guerre approchait, le Dr Weizmann continuait à assiéger les politiciens occidentaux avec l’argument que « le Foyer national juif jouerait un rôle vraiment considérable dans cette partie du monde, en tant qu’allié fiable des démocraties. » Par cela il voulait dire que la demande d’armes par les sionistes pour s’emparer de force de la Palestine, ce qui était sur le point de s’accomplir, serait présentée de cette façon, par les politiciens et la presse, au public de l’Occident. En 1938, il proposa alors à M. Ormsby-Gore, le secrétaire colonial britannique, que l’on permette aux sionistes de former une force de l’ordre de 40 000 hommes. Cela présupposait que la guerre inutile arriverait (une attente sur laquelle les hommes importants dans les coulisses étaient apparemment tous d’accord), et le Dr Weizmann fit tout ce qu’il pouvait pour s’en assurer, utilisant la cause des juifs comme seul argument. Après le meurtre de von Rath et les désordres antisémites en Allemagne, il dit à M. Anthony Eden :

« Si on permet à un gouvernement de détruire une communauté entière qui n’a commis aucun crime… cela signifie le début de l’anarchie et la destruction du fondement de la civilisation. Les puissances qui restent là à observer sans prendre aucune mesure pour empêcher le crime recevront un jour une punition sévère. »

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La persécution des hommes par Hitler était ignorée dans ces entrevues privées et fatidiques des antichambres politiques ; la situation critique d’une seule « communauté » fut avancée comme l’argument pour faire la guerre. Les sionistes, comme les événements l’ont montré, étaient déterminés à détruire « une communauté entière qui n’avait commis aucun crime » (les Arabes de Palestine, qui ne savaient rien d’Hitler), et les armes qu’ils exigeaient furent utilisées dans ce but. De façon significative, le Dr Weizmann formule son argument en termes de doctrine chrétienne ; dans cet enseignement, la destruction d’une communauté innocente de crime est un crime qui apportera une « punition sévère. » Sous la Loi lévitique, cependant, que le Dr Weizmann invoquait comme base de sa demande de la Palestine, c’est (la destruction) « la loi et le commandement » principal, qui doit être récompensé par le pouvoir et le trésor, et non puni.

Au cours des derniers douze mois avant la Seconde Guerre, les arbitres secrets du pouvoir exercèrent leur effort maximal afin de gagner le contrôle des hommes et des événements. M. Roosevelt était « engagé », mais ne pouvait être utilisé qu’à une étape postérieure. En Angleterre, M. Baldwin, le châtelain et industriel du Worcestershire, céda la place à l’homme d’affaires de Birmingham, M. Neville Chamberlain, en qui surgit un obstacle sérieux à l’exercice de la « pression irrésistible » dans les coulisses.

Le nom de M. Chamberlain est lié à l’acte ultime et fatal d’encouragement pour Hitler : l’abandon et la reddition imposée de la Tchécoslovaquie à Munich. Pendant quelques semaines, les foules publiques pensèrent qu’il avait sauvegardé la paix par cet acte, et à ce instant-là, à Budapest et Prague, je compris pour la première fois ce ce que Thomas Jefferson voulut dire quand il déclara : « Je regarde vraiment avec commisération la grande masse de mes concitoyens qui, lisant les journaux, vivent et meurent dans la croyance qu’ils ont su quelque chose de ce qui s’est passé dans le monde à leur époque. »

Néanmoins, M. Chamberlain s’estima peut-être contraint d’agir ainsi à cause de l’état de faiblesse et du manque de préparation britanniques, son prédécesseur, M. Baldwin, ayant permis que cela arrive. Je crois qu’il avait tort, si c’est bien ce qu’il estimait ; même à ce dernier moment, la fermeté aurait sauvé la situation, parce que les généraux allemands étaient prêts à renverser Hitler ; mais il fut peutêtre honnêtement convaincu qu’il ne pouvait agir autrement. Là où il se trompa de façon inexcusable, ce fut dans sa description de l’acte de Munich comme quelque chose de moralement juste, et dans son renforcement de cette affirmation avec des allusions à « un petit pays très lointain avec lequel nous n’avons rien à faire », ou des paroles similaires.

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Cependant, il était au moins cohérent dans cette dernière attitude. Il voulait désenchevêtrer l’Angleterre de son imbroglio dans un autre petit pays lointain, où elle n’avait trouvé que les épreuves léguées par M. Balfour. Ce qu’il fit lui attira l’hostilité acerbe des puissants derrière les scènes politiques, et à mon avis, la vraie source de son renversement pourrait bien avoir été la même que celle de M. Asquith en 1916.

1938, quand le mot « partition » retentit, fut l’année la plus sanglante en Palestine qui avait eu lieu jusque-là ; 1 500 Arabes furent tués. La Commission Peel avait recommandé la partition, mais ne put suggérer comment elle pouvait être effectuée. Pourtant, on envoya un autre groupes d’enquêteurs, cette fois à la recherche du moyen de couper en deux le nouveau-né sans le tuer. Cette Commission Woodhead rapporta en octobre 1938 qu’elle ne pouvait pas concevoir de plan faisable ; en novembre, le meurtre de von Rath et les désordres antisémites qui le suivirent en Allemagne furent utilisés par les sionistes pour intensifier leurs exhortations contre les Arabes en Palestine.

M. Chamberlain fit alors une chose extraordinaire, selon les critères dominants. Il convoqua une conférence sur la Palestine à Londres, à laquelle les Arabes (pour la première fois depuis la Conférence de Paix de 1919) étaient représentés. De cette conférence, sortit le Livre blanc de mars 1939, dans lequel le gouvernement britannique s’engagea à « l’établissement en dix ans d’un État palestinien indépendant » et à « la terminaison du mandat. » Dans cet État, les natifs arabes et les sionistes immigrants devaient partager le gouvernement d’une façon propre à garantir que les intérêts essentiels de chaque communauté soient sauvegardés. L’immigration juive devait être limitée à 75 000 annuellement pendant cinq ans, et les achats de terre irrévocables devaient être limités.

Ce plan, s’il était réalisé, signifiait enfin la paix en Palestine, mais aucun État juif séparé. À ce moment, la figure de M. Winston Churchill s’avança au premier rang des affaires britanniques. Il avait été éclipsé politiquement pendant dix ans, et le futur chercheur sera peut-être intéressé de savoir ce que les contemporains ont déjà oublié : que pendant cette période, cet homme fut fortement impopulaire, non à cause d’actes ou de traits spécifiques, mais parce qu’on lui donna constamment « mauvaise presse », ce qui est l’arme la plus forte entre les mains de ceux qui contrôlent l’avancement politique. Cette hostilité organisée fut particulièrement claire pendant la crise d’abdication de 1937, où ses réclamations de plus de temps reçurent une attaque beaucoup plus violente qu’elles ne le méritaient en soi, et où il fut hué à la Chambre des communes. Ses biographes le dépeignent comme souffrant de dépression pendant ces années, se pensant lui-même

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« fini » politiquement. Son sentiment à cet égard est peut-être reflété dans ses mots publiés (écrits en privé) destinés à M. Bernard Baruch, au début de 1939 : « La guerre est imminente. Nous y serons et vous y serez. Vous ferez marcher l’affaire là-bas, mais je serai sur le banc de touche ici. »

Peu après avoir écrit ceci, les fortunes politiques de M. Churchill prirent une tournure heureuse soudaine, et (comme dans le cas de M. Lloyd George en 1916), il semble que son attitude envers le sionisme eut beaucoup à voir avec cela, à en juger par ce qui a été publié. Ses archives suggèrent à cet égard que M. Churchill, le produit de Blenheim et Brooklyn, fut en quelque sorte « une charade à l’intérieur d’un mystère enveloppé dans une énigme », pour utiliser les mots qu’il employa à propos de l’État communiste en 1939. En 1906, comme on l’a montré, il fut parmi les premiers politiciens à soutenir le sionisme pendant la campagne électorale, si bien qu’un orateur sioniste dit que tout juif qui votait contre lui était un traître. Cependant, alors qu’il était en fonction pendant la Première Guerre, il prit peu part à cette affaire, et le Dr Weizmann ne le mentionne qu’une fois à cette période, et non comme « un ami ». Puis, comme secrétaire colonial en 1922, il offensa Sion par son Livre blanc, que le Dr Weizmann qualifie de « grave réduction de la Déclaration Balfour ». Ce Livre proposait pour la Palestine « un Conseil législatif avec une majorité de membres élus », et cela aurait signifié non seulement que ces élections - que le Dr Weizmann interdit jusqu’à la fin - auraient lieu, mais que l’on autoriserait aux Arabes autochtones de Palestine de diriger leur propre pays !

Ainsi, les dix années de M. Churchill dans le désert politique, 1929-1939, furent-elle aussi les années pendant lesquelles il fut en défaveur auprès des sionistes, et le récit du Dr Weizmann ne le mentionne jamais jusqu’à la veille de la Seconde Guerre, quand soudainement il est « découvert » (comme les dramaturges avaient l’habitude de dire) comme un champion du sionisme des plus ardents. Ce qui est des plus plus curieux, parce que le 20 octobre 1938, M. Churchill parlait toujours comme l’auteur du Livre blanc de 1922 : « Nous devrions… donner aux Arabes une garantie solennelle… que le quota annuel d’immigration juive ne devrait pas excéder un certain chiffre pour une durée d’au moins dix ans. » Très peu de temps après, il réapparaît dans le récit du Dr Weizmann comme un homme acceptant, implicitement et en privé, de soutenir une immigration sioniste par millions.

Tout à fait soudainement, le Dr Weizmann dit qu’en 1939, il « rencontra[i] M. Winston Churchill » (ignoré dans son histoire pendant dix-sept ans) « et il me dit qu’il participerait au débat, en s’exprimant bien sûr contre le Livre blanc proposé. » Le lecteur devra

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deviner pourquoi M. Churchill s’engagea « bien sûr » à s’exprimer contre un document qui, de par son accent sur le besoin de rendre justice aux Arabes, était en accord avec son propre Livre blanc de 1922 et avec ses discours qui suivirent pendant dix-sept ans.

Puis, le jour de ce débat, le Dr Weizmann fut invité à déjeuner avec M. Churchill « qui nous lut à haute voix son discours » et demanda si le Dr Weizmann avait des modifications à suggérer. Le lecteur se rappellera que les éditeurs du Times et du Manchester Guardian écrivaient des articles éditoriaux à propos du sionisme après consultation avec le chef d’une partie concernée ; là, M. Churchill approchait un débat sur une question majeure de politique nationale de la même manière. Il était renommé pour la qualité de ses discours, et le devint en Amérique à cause du fait étrange (tel qu’il était considéré là-bas) qu’il les écrivait lui-même. Cependant, dans les circonstances décrites au-dessus par le Dr Weizmann, la question de l’identité réelle du calligraphe apparaît d’importance mineure.

À ce moment-là, le « patronage» de M. Churchill (pour citer le Dr Weizmann) était vain ; le grand débat aboutit à la victoire de M. Chamberlain et de son Livre blanc, par une majorité de 268 contre 179. C’était substantiel, mais de nombreux politiciens sentaient déjà la direction du vent, et leur instinct de navigateurs est reflété par le nombre inhabituellement grand d’abstentions : 110. Ce qui donnait un premier avertissement à M. Chamberlain de la méthode d’abandon au sein de son propre parti, par laquelle il devait être renversé. Le débat montra une autre chose intéressante, à savoir, que le parti d’opposition à ce moment-là considérait le sionisme comme un principe suprême de sa politique et, en fait, le test suprême par lequel un homme pouvait prouver qu’il était un « socialiste » ou non ! Le Parti socialiste naissant avait oublié depuis longtemps les maux de l’homme au travail, la situation critique de l’opprimé et le triste sort du « perdant » ; il était pris dans l’intrigue internationale et voulait être du côté du patron. Ainsi, M. Herbert Morrison, un leader socialiste, pointait-t-il un doigt accusateur vers M. Malcolm MacDonald (dont le département était étroitement identifié avec le Livre blanc) et se lamentait sur l’hérésie d’un homme qui « était autrefois un socialiste ». Le socialisme signifiait aussi à ce moment-là chasser les Arabes de Palestine, et les notables des syndicats, avec leurs montres en or offertes, ne se souciaient pas du fait que ce peuple lointain soit pauvre ou opprimé.

La Seconde Guerre éclata peu après l’édition du Livre blanc et le débat. Immédiatement, toute idée « d’établissement d’une Palestine indépendante » et de « terminaison du mandat » fut suspendue, pour la durée de la guerre (et quand elle prit fin, une image très différente devait être dévoilée). À son début, M. Roosevelt en Amérique s’était

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« publiquement et officieusement engagé » à soutenir le sionisme (M. Harry Hopkins). En Angleterre, M. Chamberlain était un obstacle, mais il était proche de la sortie. M. Churchill était, lui, proche de l’entrée. Le peuple le voulait, parce qu’il était « l’homme qui avait eu raison » à propos d’Hitler et de la guerre ; ils ne savaient rien de ses pourparlers avec le Dr Weizmann et des effets que ceux-ci pourraient produire.

 

37. Le Basutoland fut l'ancien nom du Lesotho jusqu'à son indépendance face au Royaume- Uni en 1966 - NdT (retournez)

38. Leander Starr Jameson (1853-1917) était un colonialiste britannique et Premier ministre de la colonie du Cap en Afrique du Sud. En 1895, suite aux conflits politiques entre Rhodes et Kruger, Jameson rassembla une armée privée pour renverser le gouvernement du Transvaal sous prétexte de protéger les travailleurs étrangers en révolte contre le gouvernement autoritaire de la république. Le 29 décembre 1895, il lança depuis le Bechuanaland un raid contre le Transvaal - connu sous le nom de raid Jameson. Le 2 janvier 1896, le général Cronjé le fit prisonnier mais à la suite de tractations entre le Transvaal et la Grande-Bretagne, il fut remis en liberté et expulsé. L’échec de cette tentative de coup d’État fut cuisant. Jugé en Grande-Bretagne pour avoir conduit le raid, Jameson fut condamné à 15 mois de prison mais obtint vite son absolution. Son échec au Transvaal rejaillit cependant sur son ami Cecil Rhodes qui fut alors contraint de démissionner de son poste de Premier ministre du Cap - NdT source : Wikipédia (retournez)

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