p. 590 591 592 593 594 595 596 597 598 599 600
Chapitre 44
L’instrument mondial
La Seconde Guerre généra un troisième résultat, en plus de
l’expansion de la révolution au sein de l’Europe et de la création de
l’État sioniste par la force : à savoir, la seconde tentative de mise en
place de la structure d’un « gouvernement mondial », sur l’autel duquel
les nations occidentales devaient être sacrifiées. C’est le couronnement
final auquel les dynamiques parallèles du communisme et du sionisme
sont manifestement destinées à mener ; l’idée apparut pour la
première fois dans les documents de Weishaupt, commença à prendre
de la vigueur au cours du XIXe siècle, et fut développée en détail dans
les Protocoles de 1905. Au cours de la Première Guerre, ce fut l’idée
suprême parmi toutes les idées que M. House et ses associés
« insufflèrent » au président Wilson, tout en faisant en sorte que le
président pense que ses idées étaient « les siennes ». Elle prit ensuite
forme d’abord sous le nom de « Ligue d’imposition de la paix », qui à la
fin de la guerre deviendrait la « Société des Nations ».
Ainsi, elle connut son premier aboutissement partiel, de même
que toutes les idées qui s’y rapportaient, au cours de la période de
chaos propre à une grande guerre, c’est-à-dire vers la fin des combats
et pendant la période immédiate d’après-guerre. Avant la guerre, cette
idée ne fut jamais soumise aux peuples qui allaient y être entraînés, et
aucune explication cohérente ne fut fournie quant à sa nature et à son
objet ; pendant l’ « état d’urgence », les « élus dictateurs » considérèrent
l’ assentiment des peuples comme acquis ; la seule expression d’une
opinion populaire se matérialisa, alors que le brouillard de la Première
Guerre mondiale se dissipait, par le refus immédiat du Congrès des
États-Unis d’avoir quoi que ce soit à faire avec ce projet,.
Les vingt années qui s’écoulèrent entre les deux guerres
montrèrent que « la Ligue des Nations » était incapable d’imposer ou de
préserver la paix, et que les nations ne lui abandonneraient pas d’elles
mêmes leur souveraineté. Néanmoins, alors que la Seconde Guerre
approchait, les hommes qui devaient la mener étaient tout entier à ce
projet de mise en place de ce qu’ils appelaient une sorte d’« autorité
mondiale », et le facteur commun de toutes leurs réflexions à ce sujet
était que les « nations » devaient abandonner leur « souveraineté ». Dès
1923 déjà, M. Roosevelt (selon M. Morris V. Rosenbloom, biographe de
M. Baruch), après sa paralysie, avait consacré tout le temps de sa
convalescence à élaborer « un plan de maintien de la paix », qu’en tant
que président, il révisa à la Maison Blanche, donnant alors à son
projet le titre de « Nations unies ».
591
D’une manière similaire en Angleterre, M. Winston Churchill, le
défenseur de la nation britannique, devint en 1936 président de la
délégation britannique au sein d’une organisation internationale
dénommée « la nouvelle fédération du Commonwealth » qui préconisait
« une force de police mondiale pour le maintien de la paix » (la
conjonction des termes « force » et « paix » apparaît dans chacun de ces
programmes et discours), et il déclara publiquement (le 26 novembre
1936) qu’elle différait des « autres organisations pour la paix » dans le
sens où elle « préconisait l’utilisation de la force contre un agresseur,
et ce afin de défendre la loi ». M. Churchill ne dit pas de quelle loi il
s’agissait, ni qui en était l’auteur, mais il présenta véritablement la « force » comme moyen d’atteindre la « paix ».
Ainsi, il était logique qu’au cours de la rencontre d’août 1941
entre le président Roosevelt et M. Churchill, où la stérile « Charte de
l’Atlantique » fut produite, M. Churchill (comme il le rapporte) dit au
président que « l’opinion anglaise serait déçue par l’absence d’une
volonté de créer une organisation internationale pour le maintien de la
paix à l’issue de la guerre ». J’étais en Angleterre à cette époque-là et,
personnellement, je fus déçu par la référence mise en avant par M.
Churchill ; quant à « l’opinion anglaise » en général, elle était
inexistante, étant donné qu’aucune information permettant de se faire
une quelconque opinion n’avait été diffusée auprès de la population.
M. Churchill suivait son idée personnelle, de la même manière que M.
Roosevelt : « Roosevelt parla et agit en toute liberté dans tous les
domaines… Je représentai la Grande-Bretagne avec quasiment autant
de liberté. Ainsi, un haut niveau de convergence fut-il atteint, et le
gain de temps ainsi que la réduction du nombre de personnes informéesfurent-il tous deux inestimables » (selon la description de M. Churchill
concernant la manière dont « la plus grosse affaire entre l’Amérique et
la Grande-Bretagne fut littéralement traitée par des
échanges personnels » entre M. Roosevelt et lui, et ce en « parfaite
compréhension »).
Suite à cela, au cours des derniers épisodes de la guerre, et sans
aucune référence aux multitudes lancées dans les combats, « la
question de l’organisation mondiale » (citation de M. Churchill) domina
les échanges privés entre ces deux dirigeants, le général Smuts en
Afrique du Sud, et les Premiers ministres des autre pays du
Commonwealth. À cette époque (1944), M. Churchill utilisait le terme
« instrument mondial », et - comme lors de son allusion précédente à la
« loi » - la question évidente se posait : l’instrument de qui ? « La prévention d’agressions futures » était une phrase-type
retrouvée dans tous ces échanges. La difficulté à déterminer qui est
l’agresseur a été montrée dans les cas du port de La Havane en 1898,
et de Pearl Harbour en 1941 ; à ce propos, le co-agresseur à l’origine
592
de la Seconde Guerre mondiale – l’État soviétique – allait être la nation
la plus richement récompensée à l’issue du conflit, si bien que toutes
ces paroles sur la prévention d’une « agression » ne peuvent avoir été
dites sérieusement. Il est clair que l’objectif était de mettre en place un
« instrument mondial » à l’usage de quiconque serait en mesure d’en
prendre le contrôle. Contre qui serait-il utilisé ? La réponse est donnée par tous les
promoteurs de cette idée ; la seule chose qu’ils attaquent tous est « la
souveraineté des nations ». Partant, cet instrument mondial serait
utilisé pour faire disparaître les différentes nationalités (en fait,
seulement en Occident). Par qui serait-il utilisé ? Les résultats des
deux grandes guerres de ce siècle apportent la réponse à cette
question.
C’est dans ce cadre-là que l’« organisation des Nations unies » fut
créée en 1945. En l’espace de deux ans (c’est-à-dire, pendant la
période de chaos qui suivit la fin de la Seconde Guerre mondiale), la
véritable nature du « gouvernement mondial » et de l’ « instrument
mondial » fut exposée pour un instant. Pour la première fois, les
peuples virent ce qui les attendait si ce projet était un jour totalement
réalisé. Ils ne comprirent pas ce qu’on leur montra alors, et l’oublièrent
immédiatement, mais cette exposition est dans les annales et possède
une valeur inaltérable pour le chercheur d’aujourd’hui et pour aussi
longtemps que cette idée d’ « autorité » supra-nationale, si clairement
annoncée dans les Protocoles de 1905, continuera d’être mise en avant
par des hommes d’influence agissant dans les coulisses de la scène
politique internationale. C’est à ce stade du récit que le personnage de
M. Bernard Baruch émerge de l’obscurité du monde des conseillers et
pénètre dans la lumière, si bien que nous pouvons légitimement
conjecturer sur l’influence durable qu’il exerça, et exercera, sur les
événements de ce siècle.
Comme cela a été montré, il fit en 1947 une intervention décisive
en faveur de l’État sioniste, en « changeant du tout au tout » par
rapport à son hostilité initiale au sionisme (pour citer le Dr Weizmann)
et en conseillant à un membre responsable au cabinet, M. James
Forrestal, de faire cesser son opposition. C’est le premier événement à
partir duquel l’influence de M. Baruch sur la politique d’État peut être
clairement retracée, et il s’agit d’un événement significatif,
décourageant pour ceux qui espèrent « une implication des juifs dans
l’humanité », car jusqu’à ce moment-là, il semblait être (et souhaitait
probablement apparaître comme) un Américain parfaitement intégré,
un parangon de l’émancipation juive, grand, beau, respecté et
connaissant un immense succès dans les affaires.
Si le « changement » de M. Baruch fut aussi soudain que le récit
du Dr Weizmann le suggère, un autre incident qui eut lieu à cette
593
époque fait également apparaître ce changement comme radical, voire
violent. L’un des intégristes sionistes les plus extrêmes d’Amérique
était alors un certain M. Ben Hecht, qui fit un jour la déclaration
suivante :
« L’une des plus belles actions jamais réalisées par la populace fut la
crucifixion du Christ. Intellectuellement, ce fut un geste magnifique.
Mais vous pouvez faire confiance à la populace pour tout bousiller. Si
j’avais été en charge de l’exécution du Christ, je m’y serais pris
différemment. Vous voyez, ce que j’aurais fait, c’est l’envoyer à Rome
pour qu’il soit dévoré par les lions. Ils n’auraient jamais pu faire un
sauveur d’un tas de viande hachée ».
Pendant la période de violence en Palestine, qui connut son
apogée avec le pogrom d’Arabes à Deir Yassin, ce M. Hecht fit publier
une pleine page de publicité dans les plus grands quotidiens
américains. Elle était adressée « Aux Terroristes en Palestine », et
incluait ce message :
« Les juifs d’Amérique sont avec vous. Vous êtes leurs champions… À
chaque fois que vous faites exploser un arsenal britannique, ou faites
voler dans les airs un train britannique, ou cambriolez une banque
britannique, ou faites parler vos fusils et vos bombes contre les
traîtres et les envahisseurs britanniques de votre patrie, les juifs
d’Amérique ressentent dans leur coeur un élan de joie ».
Ce fut l’auteur de cette publicité (d’après son autobiographie) à qui
M. Baruch décida de rendre visite et de faire part de sa vision similaire
et de son soutien : «
Un jour, la porte de mon bureau s’ouvrit et un homme grand, aux
cheveux blancs, entra. C’était Bernard Baruch, mon premier
interlocuteur juif de la journée. Il s’assit, m’observa un moment, puis
prit la parole : “Je suis de votre côté”, dit Baruch, “le seul moyen
pour les juifs d’obtenir quoi que ce soit, c’est en se battant. J’aimerais
que vous me considériez comme un de vos combattants juifs
dissimulé dans les hautes herbes avec un long fusil. C’est toujours
comme ça que j’ai le mieux travaillé - loin des regards”. »
Ce passage révélateur (ajouté à l’intervention de M. Baruch lors de
l’affaire Forrestal) offre au chercheur un aperçu de la personnalité de
M. Baruch. Si cela était la manière dont il avait le mieux travaillé
(« comme un combattant juif dissimulé dans les hautes herbes avec un
long fusil… loin des regards » pendant ses trente-cinq ans en tant que
« conseiller de six présidents », la physionomie de la politique
américaine et des événements internationaux au cours du XXe siècle
s’explique. Le lecteur est en droit de prendre cette citation au sens le
plus plein et de considérer l’influence de M. Baruch sur la politique
américaine et sur les affaires internationales à la lumière de ces
paroles. Elles s’appliquent également à l’unique intervention publique majeure de M. Baruch sur la scène internationale, qui eut lieu environ
594
au même moment. Il s’agissait du « plan Baruch » pour une autorité
mondiale despotique soutenue par une force de destruction, et les
paroles citées plus haut justifient les plus sombres appréhensions
concernant le but pour lequel un tel « instrument mondial » serait
utilisé. Le « plan Baruch » revêt une telle importance pour ce récit
qu’une revue de l’intégralité du parcours et de la vie de M. Baruch est
ici utile.
Il fut toujours généralement considéré comme le type de
l’aristocrate juif, c’est-à-dire d’ascendance séfarade remontant, via les
passages par l’Espagne et le Portugal, à d’éventuelles origines
palestiniennes. En réalité, comme il le déclara lui-même (le 7 février
1947), son père était « un juif polonais qui émigra dans ce pays il y a
cent ans ». Cela place M. Baruch dans la famille des ashkénazes
slaves, les « juifs de l’Est » non sémites, qui représentent aujourd’hui
(d’après les statisticiens judaïques) la quasi-totalité de la communauté juive.
Il vit le jour en 1870 à Camden, en Caroline du Sud. Sa famille semblait s’identifier aux bonheurs et malheurs du nouveau pays,
puisque son père servit comme chirurgien auprès des confédérés, et M.
Baruch lui-même naquit durant les jours diaboliques de la
« Reconstruction » ; enfant, il vit les Noirs, enflammés par les discours
éloquents des carpetbaggers 60 et l’alcool des scallywags 61, déferler dans
les rues endormies de cette petite ville de province vivant des
plantations, et ses frères aînés postés à l’étage sur la véranda, avec des
fusils ; son père portait la cagoule et la robe du Ku Klux Klan.
Ainsi, au cours de son enfance, vit-il la révolution destructrice à
l’oeuvre (puisque celle-ci dirigea les derniers développements et les
retombées de la guerre de Sécession, et la « Reconstruction » fut
clairement son oeuvre) ; plus tard, il fut témoin des valeurs
impérissables d’une société libre. Toutefois, sa famille ne faisait pas
véritablement partie du Sud, et rapidement, l’attrait de New York les
conduisit dans cette ville. Là, avant même d’atteindre ses trente ans,
Bernard Baruch était un homme riche et prometteur, et avant ses
quarante ans, cet homme était déjà un puissant, bien qu’invisible,
oeuvrant dans les coulisses de la politique. Il est probablement le
modèle dont M. House s’inspira pour créer le personnage du grand
financier, « Thor », dans son roman. Malgré de nombreuses
oppositions, M. House l’intégra au cercle des conseillers de M. Wilson.
L’histoire de sa vie était alors déjà remplie de gros coups
financiers, de « ventes à découvert », de « profits sur faillites », de
595
« baisse des prix de marché », et autres activités du même genre. L’or,
le caoutchouc, le cuivre, le soufre, entre ses mains tout se transformait
en dollars. En 1917, au cours d’une enquête sur des mouvements
boursiers déclenchés par la diffusion en 1916 de « communiqués de
paix », il informa le Comité de la Chambre des représentants qu’il
s’était « fait un demi-million de dollars en un jour grâce à des ventes à
découvert ». Il affirmait que son soutien au président Wilson (aux
campagnes duquel il contribua généreusement) avait été initialement
provoqué par l’attaque du professeur Wilson contre les « fraternités »
exclusives au sein de l’université de Princeton (cette dernière se
distingua en 1956, en permettant à M. Alger Hiss de prendre la parole
devant l’un de ses clubs d’étudiants). Cela implique que M. Baruch fait
partie de ceux qui honnissent toute « discrimination de race, de classe
ou de culte » ; pourtant, peu d’hommes ont pu moins souffrir de
« discrimination » que M. Baruch.
Sa première apparition à Wall Street déplut particulièrement aux
ténors de la place, car ils le considéraient comme « un flambeur »
(reproche apparemment émis pour la première fois par M. J. Pierpont
Morgan). Il survécut à toutes ces critiques, et se décrivit comme un
« spéculateur ». Au cours de la Première Guerre mondiale, le président
Wilson nomma M. Baruch à la tête du Bureau des industries
d’armement (M. Baruch ayant répété avec insistance au président
Wilson que la direction de cet organe dictatorial devait être constituée
d’ « un seul homme »), et plus tard, il se décrivit, à ce poste, comme
ayant été l’homme le plus puissant de la planète. Lorsque le président
Wilson revint, complètement impotent, de la Conférence de paix de
Versailles, M. Baruch « devint l’un des membres du groupe qui prit les
décisions durant la maladie du président… groupe dénommé « le
Conseil de régence » ; depuis son lit de malade, le président Wilson
trouva suffisamment d’énergie pour renvoyer son secrétaire d’État, M.
Robert Lansing, qui avait organisé des réunions de cabinet en
opposition à ce « Conseil de régence ».
D’après le biographe de M. Baruch, celui-ci continua à être le
« conseiller » des trois présidents républicains des années 20, et selon
le témoignage de Mme Eleanor Roosevelt, il fut le conseiller du
président Roosevelt avant et pendant les douze années de
gouvernement démocrate qui suivirent. En mars 1939, M. Winston
Churchill se sentit en mesure d’informer M. Baruch (alors en résidence
dans sa baronnie de Caroline du Sud) que « la guerre est imminente…
vous ferez marcher l’affaire là-bas ».
À cette époque, cela faisait près de trente ans que M. Baruch
« conseillait » les présidents, et malgré cela, les chercheurs
consciencieux ne sont pas en mesure de découvrir ou d’évaluer
exactement quelles étaient les motivations de M. Baruch, quelle était la
596
nature de ses « conseils », ou quels effets ses conseils eurent sur la
politique américaine et les affaires internationales. Ceci est naturel,
puisqu’il avait toujours travaillé « dans les hautes herbes… loin des
regards ». Il ne fut jamais élu ou fonctionnaire d’État, si bien que ses
activités ne purent jamais être auditées. Il fut le premier des
« conseillers », le nouveau type de despote annoncé, au début du siècle,
uniquement dans les très controversés « Protocoles » de 1905.
Seules des déductions et des inférences sont possibles dans son
cas ; on pourrait rassembler des fragments ici ou là pour reconstituer
une partie du puzzle. Tout d’abord, ses recommandations publiques
allèrent toujours dans le sens de mesures de « contrôle ». Au cours de
la Première Guerre mondiale comme lors de la Seconde, ce fut sa
panacée : « contrôle », « discipline » et équivalents. Cela revenait
toujours à une demande de pouvoir sur le peuple et de centralisation
de l’autorité entre les mains d’un seul homme, et cette demande
s’éleva à nouveau bien après la Seconde Guerre, en arguant à nouveau
que cela préviendrait un troisième conflit : « avant que les balles ne se
mettent à fuser… le pays doit accepter des mesures de discipline, telles
que le rationnement et le contrôle des prix » (le 28 mai 1952, avant une
commission sénatoriale).
À chaque fois que cette recommandation fut faite, il la présenta
comme un moyen de vaincre un dictateur (« le Kaiser », « Hitler »,
Staline »). Le monde « discipliné » et « sous contrôle » que M. Baruch
envisageait fut décrit par ses soins au cours d’une audition face à une
commission du Congrès en 1935 : « Si la guerre de 1914-1918 avait
duré une année de plus, toute la population se serait retrouvée en
uniformes bon marché mais fonctionnels… les différents modèles de
chaussures auraient été réduits au nombre de deux ou trois ». Cette
déclaration déclencha de vives protestations à l’époque ; les
Américains, ayant contribué à vaincre les Allemands « très stricts »,
n’aimaient pas à penser qu’ils auraient pu donner l’image d’une
discipline terne, même si la guerre avait duré ne serait-ce qu’« une
année de plus ». À l ‘époque, M. Baruch nia avoir eu l’intention de
« faire marcher la nation au pas de l’oie », mais son biographe rapporte
que « pendant la Seconde Guerre mondiale, il renouvela sa proposition
de tenue normalisée ». En contemplant l’image ainsi évoquée, le
chercheur ne peut effacer de son esprit l’image similaire présentée
dans les Protocoles, celle de masses ternes et asservies peuplant les
défunts États-nations.
D’autres fragments d’information montrent que l’apogée de l’idée
de M. Baruch offrait la vision d’un monde contrôlé et discipliné. Il
possédait la folie des grandeurs [en français dans le texte – NdT] et la
mégalomanie que les Wilson et Lloyd George, les Roosevelt et Winston
Churchill reprochaient au Kaiser et à Hitler. Son biographe raconte : 597
« bien sûr que nous pouvons redresser le monde, c’est ce que Baruch
déclara à de nombreuses occasions ». Et puis, pendant la Seconde
Guerre, « Baruch s’était mis d’accord avec le président Roosevelt et
d’autres dirigeants sur la nécessité de mettre en place une
organisation mondiale qui soit comparable à l’unité qui existait entre les
Alliés pendant la guerre ».
Les mots-clés sont en italique : ils font référence à la période de
confusion propre à un conflit majeur, lorsque les « conseillers »
soumettent leurs plans, les « élus dictateurs » les paraphent (et plus
tard, ont du mal à comprendre comment ils ont pu faire une chose
pareille), et les gros coups réussissent.
Tout cela ne constitue que des fragments, représentatifs mais
incomplets. Immédiatement après la Seconde Guerre, M. Baruch fit sa
première grande apparition publique dans les affaires internationales,
en tant qu’auteur d’un plan de dictature mondiale et de dictature
(selon moi) par la terreur. Pour la première fois, sa pensée et son
travail purent être ouvertement analysés, et c’est à cause de leur
rapport avec ce plan que (selon moi) les paroles qu’il adressa à M. Ben
Hecht revêtent une telle importance.
Selon son biographe, M. Baruch avait 74 ans « quand il commença
à se préparer pour le projet qu’il considérait comme le plus important
de toute sa vie… élaborer un plan opérationnel pour le contrôle
mondial de l’énergie atomique et, en tant que représentant des États-
Unis au sein de la Commission sur l’énergie atomique des Nations
unies, promouvoir l’adoption de ce plan par la Commission ». [En
tenant compte de ces informations], cela nous amène en 1944, soit un
an avant la première utilisation de la bombe atomique, et avant même
la création des Nations unies.
Si cette information est correcte, M. Baruch savait deux ans à
l’avance ce qui allait se produire dans le monde ; « la tâche » à laquelle
il se préparait en 1944 fut proposée pour la première fois par le
secrétaire d’État Byrnes (à l’issue d’une discussion avec M. Baruch) au
président Truman, en mars 1946 (sept mois après les premières
bombes atomiques). Avec diligence, le président Truman participa au
rendez-vous, au cours duquel M. Baruch apparut enfin en public avec
un titre officiel. Il se mit alors à travailler au « plan Baruch ».
La règle encadrant la représentation américaine au sein des
Nations unies impose que tous les représentants américains suivent la
politique définie par le président et transmise par l’intermédiaire du
secrétaire d’État. Selon son biographe, M. Baruch chercha à connaître
le contenu de cette « politique », et ce, peut-être uniquement pour la
forme, puisqu’il lui avait été demandé d’élaborer lui-même cette
politique. Par conséquent, le « plan Baruch » fut littéralement le plan
598
élaboré par M. Baruch, si sa biographie est correcte (elle fut publiée
avec son accord). Cette politique fut conçue sur un banc de Central
Park, en consultation avec un certain Ferdinand Eberstadt, qui avait
été l’assistant de M. Baruch à Versailles en 1919, et « un disciple
actif » de M. Baruch pendant la Seconde Guerre. On pourrait décrire
cette méthode comme étant la méthode du XXe siècle d’élaboration des
politiques d’État, et apparemment, M. Baruch lui doit son surnom de
« politicien de banc de parc ».
M. Baruch présenta alors son plan à la Commission des Nations
unies sur l’énergie atomique, lors de sa séance inaugurale, le 14 juin
1946. Il prit la voix du Jéhovah des Lévites offrant « bénédictions et
malédictions », fit allusion à la bombe atomique en tant qu’ « arme
absolue » (quelques années plus tard, la course à la production d’un
explosif encore plus puissant avait déjà démarré), et utilisa l’argument
habituel des faux prophètes, c’est-à-dire que si ses conseils étaient
appliqués, « la paix » en découlerait, et s’ils étaient ignorés, tout serait
« détruit ». Il me semble que la proposition qu’il fit équivalait à une
dictature universelle soutenue par un régime de la terreur sur une
échelle planétaire ; le lecteur pourra en juger par lui-même. «
Nous devons choisir la paix mondiale ou la destruction
mondiale… Nous devons prévoir les mécanismes propres à assurer
une utilisation pacifique de l’énergie atomique et qui en interdissent
l’utilisation en cas de guerre. À cette fin, nous devons mettre en place
des sanctions immédiates, rapides et fiables à l’encontre de ceux qui
violent les accords conclus entre les nations. La pénalisation est
essentielle si nous voulons que la paix soit plus qu’un interlude agité
entre deux guerres. Il faut également que les Nations unies puissent
prescrire des responsabilités individuelles et des sanctions sur les
bases appliquées à Nuremberg par l’Union des Républiques socialistes
soviétiques, le Royaume-Uni, la France et les États-Unis – une
formule dont sans nul doute l’avenir du monde bénéficiera. Dans cette
crise, nous représentons non seulement nos gouvernements, mais,
plus globalement, nous représentons les citoyens du monde… Les
populations de ces démocraties rassemblées ici n’ont pas peur d’un
internationalisme qui protège, ils refusent d’être manipulés par des discours sur une souveraineté étriquée, expression d’aujourd’hui pour
désigner l’isolationnisme d’hier ».
Ainsi apparut M. Baruch, non pas comme le représentant des
États-Unis, mais comme le porte-parole des « citoyens du monde », et à
ce titre, il recommanda un tribunal de Nuremberg permanent dont le
monde serait certain de bénéficier (et consistant probablement en des
jugements prononcés le Jour du Grand pardon).
Sur les bases ainsi établies, il proposa « un contrôle ou un
monopole, détenus par un directorat », de toutes les activités liées au
nucléaire qui seraient potentiellement dangereuses pour la sécurité
599
mondiale, ainsi que le pouvoir de contrôle, d’inspection et
d’autorisation de toutes les autres activités nucléaires. En cas de
« violation de cette règle », il proposa que « des sanctions aussi
immédiates et incontournables dans leur application que possible
soient mises en place en cas de (1) détention ou utilisation illégale
d’une bombe atomique ou d’équipements nucléaires, ou (2) d’actes
d’interférence délibérée avec les activités de l’Autorité en la matière ». Il
réitéra ensuite sa proposition de « sanctions » : « … la question de la
sanction est au coeur même de notre système de sécurité actuel… La
Charte autorise la pénalisation uniquement en cas d’accord de
chacune des cinq grandes puissances membres… Aucun veto ne doit être autorisé pour protéger ceux qui violent leurs engagements
solennels… La bombe ne respecte pas les délais. L’attente peut
signifier la mort. La durée entre une violation et une action préventive
ou une sanction serait bien trop courte pour mener des débats
prolongés sur la marche à suivre… La solution nécessitera de sacrifier
en apparence honneur et position, mais il vaut mieux souffrir pour
obtenir la paix que mourir en raison de la guerre ».
Le lecteur remarquera que M. Baruch proclama que le monde ne
pouvait échapper à la « destruction » qu’ en « interdisant l’utilisation de
l’énergie atomique en cas de guerre », et qu’il proposa qu’ « une
Autorité » détenant le monopole de l’énergie nucléaire soit mise en
place, autorité qui devrait être libre de tout contrôle concernant son
utilisation dans un but répressif de l’énergie atomique contre toute entité
qu’elle considérerait comme méritant une sanction.
Ceci est la proposition dont j’ai déjà dit que par elle, le monde eut
pour la première fois un aperçu de ce que signifiait « gouvernement
mondial ». Le biographe de M. Baruch relate que le président Truman
« approuva le plan » ; il décrit ensuite les efforts de M. Baruch pour
« rassembler » des votes de soutien au plan auprès de la Commission.
Au bout de six mois (le 5 décembre 1946), il perdit patience et pria la
Commission de se souvenir que « l’attente peut signifier la mort ». La
période de chaos touchait à sa fin, et même la Commission des
Nations unies ne put être amenée à « gober » ce plan. Le 31 décembre
1946, M. Baruch démissionna et le plan fut archivé par la Commission
de désarmement des Nations unies.
En janvier 1947, M. Baruch annonça qu’il se « retirait de la scène publique » (sur laquelle il ne se fit remarquer qu’à cette occasion-là) ;
« Les observateurs intéressés ne semblèrent pas particulièrement
inquiets » (ajoute son biographe) ; « on paria que Baruch serait de
retour à la Maison Blanche et au Capitole avant la fin du mois, et il en
fut ainsi ». Plus tard dans l’année, il fit son intervention « décisive » (bien que non publique) concernant M. Forrestal et eut son rendezvous
important avec M. Ben Hecht. Six ans plus tard, son biographe
600
(qui savait alors manifestement que M. Eisenhower serait élu) résuma
les recommandations que le nouveau président recevrait du
« conseiller » permanent. Elles se rapportaient exclusivement à une
mobilisation préparatoire en vue d’une nouvelle guerre, au « contrôle »,
à « une stratégie globale », et autres sujets portant sur ce thème.
À cette époque, M. Baruch avait déjà précisé à quelles nouvelles
« agressions » spécifiques ces propositions étaient censées faire face,
puisqu’il avait déclaré à une Commission sénatoriale, en 1952, que
pour prévenir « une agression soviétique », il fallait « donner [au
président] tous les pouvoirs dont il avait besoin afin d’exécuter un
programme d’armement et de mobilisation, incluant le contrôle des
prix et des priorités ». C’était le programme, dirigé par « un seul
homme », qu’il avait défendu pendant deux guerres mondiales.
Toutefois, son opinion personnelle sur l’agresseur mentionné n’était
apparemment pas caractérisée par la crainte et de la répugnance, tel
qu’il l’avait déclaré à la Commission sénatoriale, car 1956, il déclara à
un journaliste : « Il y a quelques années, j’ai rencontré Vyshinsky au
cours d’une soirée, et je lui ai dit : “Vous êtes un idiot et je suis un
idiot : vous avez la bombe et nous avons la bombe… Contrôlons la
chose tant que nous le pouvons, parce qu’au moment où nous parlons,
toutes les nations sont en train d’obtenir la bombe, ou l’obtiendront tôt
ou tard” » (Daily Telegraph, 9 janvier 1956). Les Soviétiques ne
considéraient pas non plus M. Baruch avec hostilité ; en 1948 (comme
il le confirma en 1951), il fut invité à Moscou pour s’y entretenir avec
les dictateurs, et quitta en effet l’Amérique pour faire cette visite ; seule
« une maladie soudaine survenue à Paris » (expliqua-t-il) l’obligea à interrompre son voyage.
La présentation en 1946 de son plan « pour redresser le monde »
offrit au monde un aperçu de ce qui pourrait survenir vers la fin et au
lendemain d’une quelconque troisième guerre ; « le plan global » avait
été entièrement révélé. En 1947, M. Baruch déclara que son père avait
« rejoint ce pays il y a cent ans ». Son cas offre l’exemple le plus
frappant de l’effet qu’eut la « nouvelle immigration » du XIXe siècle sur
l’Amérique, et à travers l’Amérique, sur les affaires internationales. Au
bout de cent ans seulement, le fils était déjà, depuis près de quarante
ans, l’un des hommes les plus puissants de la planète - bien qu’il
oeuvrât caché « dans les hautes herbes… loin des regards » ; et il devait
poursuivre ces activités pendant au moins dix années
supplémentaires.
60. Nordistes qui s’installèrent dans le Sud avec des esclaves noirs emancipés, durant la guerre de Sécession - NdT (retournez)
61. Sudistes républicains soutenant l’émancipation des Noirs et considérés comme traîtres par les autres Sudistes - NdT (retournez)
Chap 45
Chap 43
Accueil
Chapitres
Index
Liens
Plus |