La Controverse de Sion

par Douglas Reed

 

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Chapitre 46,3

 

Le climatère

3. Les Années d’Apogée

Les années 1952-1956 amenèrent les populations d’Occident encore plus près du calcul des comptes pour le soutien que leurs leaders, par deux générations et deux guerres mondiales, avaient donné à la révolution et au sionisme. On était en train de les attirer dans deux guerres qui, de manière prévisible, fusionneraient en une seule guerre servant un but dominant. D’une part, ils étaient engagés par leurs hommes politiques et leurs partis dans la préservation de l’État sioniste, dont la politique déclarée était d’agrandir sa population de « trois ou quatre millions de personnes » en «dix à quinze ans»; ce qui signifiait la guerre. D’autre part, on les accoutumait quotidiennement à l’idée que c’était leur destinée et devoir de détruire le communisme, qui avait submergé la moitié de l’Europe quand l’Occident avait ouvert les vannes ; ce qui signifiait la guerre.

Ces deux guerres deviendraient, inévitablement, une guerre unique. Le calcul est simple. Le territoire pour l’expansion de l’État sioniste ne pouvait être pris qu’aux peuples arabes voisins; les gens nécessaires à l’expansion de l’État sioniste ne pouvaient être pris que dans la région occupée par la révolution, parce qu’on ne pourrait trouver nulle part ailleurs « trois ou quatre millions » de juifs, les États-Unis mis à part.80

Dans ce but, l’Occident, durant la phase qui commença en 1952, dut être persuadée que « l’antisémitisme » sévissait dans la zone soviétique, tout comme elle fut persuadée durant les quatres années qui suivirent que les attaques sionistes envers les pays arabes étaient des attaques arabes envers Israël. M. Ben Gourion (8 déc. 1951) informa officiellement le gouvernement soviétique que « le retour des juifs dans leur foyer national historique est la mission centrale de l’État

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d’Israël… le gouvernement d’Israël fait appel à l’Union soviétique pour permettre aux juifs de l’Union soviétique qui souhaitent émigrer, de le faire ». Le New York Times, deux ans plus tard, mentionnant l’immigration déclinante vers Israël, dit que le but de M. Ben Gourion « semble très lointain » et ajouta que « le modèle actuel d’immigration » ne changerait radicalement que s’il y avait « un regain d’antisémitisme » quelque part (à cette période, le 26 juin 1953, la dénonciation de « l’antisémitisme derrière le Rideau de Fer » avait commencé). Le New York Herald-Tribune dit à la même période (12 avril 1953) que « l’antisémitisme » était devenu virulent en Union soviétique et que « l’entreprise de sauvetage la plus cruciale » à laquelle faisait face Israël dans sa sixième année était celle des « 2 500 000 juifs prisonniers de la Russie et des pays satellites ».

Donc, il était clair, à la lumière des deux guerres mondiales et de leur issue dans les deux cas, que toute guerre entreprise par « l’Occident » contre le « communisme » serait en réalité menée dans le but premier de fournir à l’État sioniste de nouveaux habitants venus de Russie ; que toute guerre au Moyen-Orient dans laquelle l’Occident s’engagerait serait menée dans le but premier d’agrandir le territoire de l’État sioniste, pour y loger cette population plus nombreuse ; et que les deux guerres fusionneraient bien en une seule guerre, au cours de laquelle ce but dominant resterait caché aux populations qui y seraient entraînées, jusqu’à ce qu’elle soit remportée et entérinée par quelque nouvel « instrument mondial », à la fin de la bataille.

Telle était la position de « l’Occident », cinquante ans après la première capture de M. Balfour et de M. Woordrow Wilson dans les filets du sionisme. J’ai une raison de mettre les mots « l’Occident » entre guillemets, à savoir que ces mots ne signifient plus ce que l’Occident signifiait avant. Autrefois, le terme signifiait le territoire chrétien, depuis les frontières orientales de l’Europe, et en traversant l’Atlantique, jusqu’au littoral occidental américain, incluant les pays anglophones reculés d’Amérique du Nord, d’Afrique et des antipodes. Après la Seconde Guerre, quand la moitié de l’Europe fut abandonnée à la révolution talmudique, ce mot reçut une portée plus limitée. Dans l’esprit populaire, « l’Occident » signifiait l’Angleterre et l’Amérique, en rang contre la nouvelle barbarie qu’elle extirperait un jour d’Europe et renverrait dans sa barbare terre natale asiatique. L’Amérique et l’Angleterre, avant tout, représentaient encore « le monde libre » qui un jour serait rétabli sur tout le territoire d’autrefois et avec lui, comme dans les temps anciens, l’espoir des hommes vivant à l’extérieur de ce territoire et qui souhaitaient être libres ; c’est ce que l’esprit populaire comprenait.

Militairement, cette supposition était correcte ; la force physique de « l’Occident », soutenue par l’attente fiévreuse des populations

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captives, était plus qu’équivalente à la tâche. En réalité, les grands pays vers lesquels les peuples asservis se tournaient étaient euxmêmes prisonniers du pouvoir qui avait amené cet asservissement ; et ils avaient montré par deux fois que leurs armes, si elles étaient utilisées, ne seraient pas employées pour libérer et réparer, mais pour prolonger le supplice du XXe siècle.

Les valeurs morales et spirituelles autrefois contenues dans ces deux mots, l’Occident, étaient les plus fortes dans les pays abandonnés au communisme et dans ceux menacés de sionisme, où la souffrance et le danger ranimaient [ces valeurs] dans les âmes humaines. Dans ces grandes citadelles occidentales qu’étaient autrefois Londres et Washington, [ces valeurs] étaient réprimées et latentes.

Pour cette raison, l’Amérique n’était pas véritablement qualifiée pour reprendre à l’Angleterre le rôle principal sur la scène mondiale lors de la deuxième moitié du XXe siècle, et pour accomplir la tâche de libération que les masses étaient incitées à attendre d’elle. Matériellement, la république fondée presque deux cents ans auparavant était extraordinaire. Les richesses du monde y avaient coulé durant les deux guerres mondiales ; sa population atteignait rapidement deux cents millions ; sa marine et son armée de l’air étaient les plus importantes du monde et, comme son armée de terre, étaient fondées sur cet ordre de contrainte que sa population avait longtemps considéré comme étant la malédiction de l’Europe. Dans l’industrie et les compétences techniques, elle était redoutable au point d’en devenir un cauchemar pour elle-même. Sa production était si vaste qu’elle ne pouvait être absorbée, et le souvenir terrible de la crise de 1929 incita ses leaders à concevoir de nombreuses manières de distribuer les marchandises dans le monde sous forme de présents, et de payer ces biens au producteur par des fonds publics, si bien que, pendant un temps, les fabricants et les ouvriers étaient payés pour une production pour laquelle, en temps de paix, aucun marché naturel ne se présentait. Ses bases militaires, sur le territoire de peuples autrefois souverains, étaient disséminées sur tout le globe, de sorte qu’à tout instant elles pouvaient frapper avec une puissance fulgurante… mais frapper quoi, et dans quel but ?

Le « communisme », répondait-on aux masses, dans un but de libération des asservis, d’aide au monde en esclavage, et de rectification des actions de 1945. Si cela était vrai, la fin du supplice du siècle était au moins en vue, un de ces jours, car partout dans le monde les hommes mettaient leur coeur dans cette cause-là. Mais chaque acte majeur du gouvernement à Washington durant les années 1952-1956 démentit ces professions de foi. [Le gouvernement] semblait plus esclave du « pouvoir juif » que même les gouvernements

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britanniques des cinquante années précédentes. Il se révélait incapable de prendre en mains toutes questions importantes concernant les affaires étrangères ou intérieures américaines, excepté en termes de leur rapport avec le sort des « juifs », tel que le cas des juifs lui était présenté par les impérieux sionistes. Aucun petit gouvernement fantoche ne ressembla plus à un vassal dans ses actes que celui-là même que les masses considéraient comme le gouvernement le plus puissant du monde : celui des États-Unis sous son chef de l’Exécutif, le président Eisenhower, durant les années 1953 à 1956.

Comme celle d’un chancelier lors d’une naissance royale, l’ombre du sionisme s’abattit sur la sélection, la nomination et l’élection du général Eisenhower. La fulgurante promotion de ce dernier durant la guerre de 1939-1945, du rang de colonel peu versé dans le combat, à celui de commandant suprême de toutes les armées alliées envahissant l’Europe, semble indiquer qu’il fut désigné pour recevoir de l’avancement longtemps auparavant, et les recherches soutiennent cette déduction. Dans les années 20, le jeune lieutenant Eisenhower étudia au National War College à Washington, où un certain M. Bernard Baruch (qui avait joué un rôle si important dans la sélection, nomination et élection du président Woodrow Wilson en 1911-1912) donna ses instructions. M. Baruch, à cette époque précoce, décida que le lieutenant Eisenhower était un élève vedette, et quand le général Eisenhower fut élu président trente ans plus tard, il dit aux vétérans américains qu’il avait pendant un quart de siècle « eu le privilège de s’asseoir aux pieds de Bernard et de l’écouter parler ». Au début de sa présidence, M. Eisenhower intervint pour résoudre, en faveur de M. Baruch, un petit conflit au Collège de guerre national, où certains s’opposaient à l’acceptation d’un buste de M. Baruch, offert par des admirateurs (aucun buste de civil en vie n’y avait jamais été exposé auparavant).

Il est fort possible que le soutien du « conseiller des six présidents » ait facilité l’ascension rapide du lieutenant Eisenhower aux commandes de la plus grande armée de l’histoire. Dans les annales publiques, on peut trouver le soutien que M. Baruch donna quand le général Eisenhower (qui n’avait pas d’affiliations ou d’histoire au parti) se présenta en 1952 comme candidat du Parti républicain pour la présidence. Jusqu’à cet instant, M. Baruch avait été un membre ardent du Parti démocrate, non juste un démocrate ordinaire, mais un fervent défenseur de l’étiquette du parti et un détracteur quasiment fanatique de l’étiquette républicaine» (cf sa biographie approuvée). En 1952, M. Baruch devint soudain un fervent défenseur de l’étiquette républicaine, pourvu que M. Eisenhower la portât. De toute évidence, de fortes raisons devaient avoir causé ce changement

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soudain de l’allégeance de toute une vie, et il serait utile de chercher à les découvrir.

En 1952, le Parti républicain n’avait pas été au pouvoir depuis vingt ans. Selon la seule théorie du balancier, par conséquent, on s’attendait à ce qu’il revienne au pouvoir et donc évince le Parti démocratique, dont M. Baruch avait été un « fervent défenseur » pendant cinquante ans. Hormis le retournement de la chance - auquel on devait s’attendre - contre un parti trop longtemps au pouvoir, l’électeur américain de 1952 avait des raisons particulières de voter contre les démocrates ; la raison principale était la révélation d’une infestation communiste du gouvernement sous les régimes de Roosevelt et Truman et le désir du public d’un nettoyage drastique des écuries.

Dans ces circonstances il était relativement clair, en 1952, que le Parti républicain et son candidat gagneraient les élections et la présidence. Le candidat naturel était le leader du parti, le sénateur Robert E. Taft, qui y avait consacré sa vie. À ce moment précis, et après son propre soutien « fervent » de toute une vie au Parti démocrate (ses contributions d’argent étaient très importantes, et les notes personnelles de M. Forrestal rapportent le rôle joué par de telles contributions, en général, pour déterminer le cours des élections américaines et de la politique nationale), M. Baruch, le « détracteur fanatique » de l’étiquette républicaine, présenta un candidat alternatif pour la nomination républicaine. C’est à dire, l’officier qu’il avait admiré pendant si longtemps apparut soudain sur le ring, et la chaleureuse recommandation de ce dernier par M. Baruch indiquait d’où provenait son soutien le plus solide.

La perspective qui s’ouvrait alors était que si M. Eisenhower, au lieu du sénateur Taft, arrivait à obtenir la nomination du parti, le Parti républicain serait à travers lui engagé à poursuivre la politique démocrate d’« internationalisme » commencée par les présidents Woodrow Wilson, Roosevelt et Truman. Cela, en retour, signifiait que si le leader du parti pouvait être évincé, l’électeur américain serait privé de tout choix véritable, car le seul homme qui lui offrait une politique alternative et différente était le sénateur Taft.

Cela était devenu clair pour l’initié plus d’un an avant l’élection, grâce au leader républicain le plus important après le sénateur Taft, le gouverneur Thomas E. Dewey de l’État de New York. M. Dewey - qui s’était étonné lui-même et avait étonné le pays avec en perdant l’élection présidentielle de 1948 en faveur de M. Truman, un exemple classique de l’échec prévu d’avance de la méthode « moi aussi » - déclara : « Je suis un internationaliste. C’est pourquoi je suis pour Eisenhower. Eisenhower est un républicain de coeur, mais ce qui est plus important, c’est qu’il est internationaliste » (Look, 11 sept. 1951).

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Parmi les initiés, « internationaliste » (comme « activiste » dans le sionisme) est un mot-clé, signifiant de nombreuses choses inavouées ; jusqu’ici, au cours de notre siècle, aucun « internationaliste » inavoué à un poste de premier plan ne s’est authentiquement opposé à l’avancée du communisme, l’avancée du sionisme, et le projet de gouvernement mondial vers lequel ces deux forces convergentes mènent. Le sénateur Taft, d’autre part, était violemment attaqué à cette époque comme « isolationniste » (un autre mot-clé ; il signifie seulement que la personne attaquée croit en la souveraineté nationale et en l’intérêt national, mais on fait en sorte que cela sonne mal à l’oreille des masses).

Ainsi, M. Eisenhower se présenta-t-il à la convention du Parti républicain à Chicago, en 1952, contre le sénateur Taft. J’en fus le témoin, par la télévision, et, bien que je ne sois pas novice, je fus étonné de la façon lisse dont la défaite du sénateur Taft fut atteinte. Cet événement montra, longtemps avant les véritables élections, que le mécanisme de nomination avait été tellement maîtrisé qu’aucun parti ne pouvait même ne serait-ce que proposer quiconque n’était pas un candidat approuvé par les puissants sélectionneurs derrière la scène. La conséquence de l’élection présidentielle elle-même dans ces circonstances présente relativement peu d’intérêt en Amérique de nos jours, et l’observateur ne peut pas non plus se faire une idée de la manière dont la République pourrait échapper à ce contrôle occulte. Il n’est pas possible pour les deux partis de désigner son leader de parti, ou tout autre homme, s’il n’a pas auparavant été jugé acceptable par « les internationalistes ».

L’évincement du leader vétéran du parti, à la veille du retour au pouvoir de son parti, fut accompli grâce au contrôle des votes groupés des « États-clés ». L’effectif démographique détermine le nombre de votes déposés par les délégations d’État, et au moins deux de ces États prépondérants (New York et la Californie) sont ceux vers lesquels l’immigration juive des derniers soixante-dix ans a été orientée, manifestement dans ce but81. En 1952, alors que je regardais la télé, le vote pour les deux hommes était plutôt à égalité, lorsque M. Dewey remit en souriant l’important vote groupé de l’État de New York contre le leader de son parti et en faveur de M. Eisenhower. D’autres « États-

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clés » suivirent le même exemple et il reçut la nomination, qui dans les circonstances du moment signifiait aussi la présidence.

Cela signifiait aussi, de fait, la fin de tout système bipartiste authentique en Amérique, pour l’heure ; le système des représentants élus connu sous le nom de « démocratie » est rabaissé au niveau du système au parti unique des non-démocraties si les deux partis n’offrent pas un véritable choix de politique. La situation fut décrite ainsi, à la veille des élections, aux lecteurs juifs du Jerusalem Post (5 nov. 1952), qui les informa qu’il y avait « guère de différence entre les deux ». (M. Eisenhower, républicain - M. Stevenson, démocrate) « du point du vue de l’électeur juif » et que l’intérêt juif devrait se concentrer sur « le sort » des membres du Congrès et des sénateurs considérés comme « hostiles à la cause juive ».

Immédiatement après l’investiture du nouveau président (janvier 1953), le Premier ministre britannique, Sir Winston Churchill, se précipita en Amérique pour s’entretenir avec celui-ci, mais pas à Washington, où résident les présidents ; M. Eisenhower proposa qu’ils se rencontrent « chez Bernie », à l’hôtel particulier de M. Baruch, sur la Cinquième avenue (Associated Press, 7 fév. 1953). À cette période, M. Baruch recommandait avec insistance l’adoption de son « plan de bombe atomique » comme la seule force de dissuasion efficace contre « l’agression soviétique » (ses remarques à la Commission du Sénat ont été citées dans un chapitre précédent). Apparemment, il n’était pas si méfiant ou hostile envers les Soviétiques qu’il en avait alors l’air, car quelques années plus tard, il dévoila que la notion d’une dictature nucléaire commune américano-soviétique exercée sur le monde l’avait aussi séduit : « Il y a quelques années, j’ai rencontré Vishinsky lors d’une soirée, et je lui ai dit… “Vous avez la bombe et nous avons la bombe… Contrôlons la chose tant que nous le pouvons, parce qu’au moment où nous parlons, toutes les nations sont en train d’obtenir la bombe, ou l’obtiendront tôt ou tard” » (Daily Telegraph, 9 juin 1956).

L’élection du général Eisenhower en tant que candidat républicain priva l’Amérique de son dernier moyen de se dissocier, par la répudiation électorale, de la politique d’« internationalisme » de Wilson- Roosevelt-Truman. Le sénateur Taft était le seul homme politique important qui, dans l’esprit public, prenait clairement position pour la rupture nette avec cette politique, et manifestement pour cette raison, les puissances qui gouvernent efficacement l’Amérique depuis les dernières quarante années attachèrent une importance majeure au fait d’empêcher sa nomination. Certains extraits de son livre de 1952 possèdent une valeur historique permanente, ne serait-ce qu’en tant qu’illustration de ce qui aurait pu être si on avait permis à l’électeur républicain de voter pour le leader du parti républicain:

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« Le résultat de la politique de l’administration » (Roosevelt-Truman) « a été de construire la force de la Russie soviétique si bien qu’elle est, en fait, une menace à la sécurité des États-Unis… La Russie est bien plus une menace à la sécurité des États-Unis qu’Hitler en Allemagne ne le fut jamais…
Il ne fait aucun doute que nous possédons la plus grande force navale au monde, et certainement, alors que les Britanniques sont nos alliés, un contrôle total des mers dans le monde entier… Nous devrions accepter de porter assistance avec nos propres forces maritimes et aériennes à toutes les nations insulaires qui désirent notre aide. Parmi elles se trouvent le Japon, Formose, les Philippines, l’Indonésie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ; du côté atlantique, la Grande-Bretagne évidemment… Je crois qu’une alliance avec l’Angleterre et la défense des Îles britanniques sont bien plus importantes qu’une alliance avec toute nation continentale… Avec les Britanniques, il ne peut y avoir de doute sur notre contrôle total des mers et des airs de par le monde…
Si nous sommes vraiment sincères concernant notre politique anticommuniste… nous devrions définitivement éliminer du gouvernement tous ceux qui sont directement ou indirectement liés à l’organisation communiste…
Fondamentalement, je crois que le but ultime de notre politique étrangère doit être de protéger la liberté du peuple américain… Je sens que les deux derniers présidents ont placé toutes sortes de considérations politiques et tactiques avant leur intérêt pour la liberté et la paix…
Il me semble que l’envoi de troupes sans autorisation du Congrès dans un pays qui est attaqué, comme cela fut fait en Corée, est clairement interdit » (par la Constitution américaine)… « Le projet de l’armée européenne, cependant, va plus loin… Il inclut l’envoi de troupes à une armée internationale similaire à celle qui fut envisagée sous la Charte des Nations unies… Je n’ai jamais été satisfait de la Charte des Nations unies… elle n’est pas fondée sur une loi qui soustend l’ensemble, avec une administration de la justice sous cette loi… Je ne vois d’autre choix que de développer notre propre politique militaire et notre propre politique d’alliances, sans considération importante pour le pouvoir inexistant des États-Unis à empêcher l’agression…
L’autre forme d’organisation internationale qui est poussée avec acharnement sur la population des États-Unis - à savoir, un État mondial avec une législature internationale pour faire les lois et un exécutif international pour diriger l’armée de cette organisation… m’apparaît, tout du moins en ce siècle, comme fantasque, dangereuse et difficilement applicable. Un tel État, à mon avis, s’écroulerait sous dix ans… Les difficultés à faire tenir une telle Tour de Babel sous un gouvernement direct unique seraient insurmontables… Mais par dessus tout, quiconque suggère un tel plan propose la fin de cette liberté qui a généré dans ce pays le plus grand bonheur… que le monde ait jamais vu. Il soumettrait le peuple américain au

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gouvernement d’une majorité qui ne comprend pas la nature des principes américains, et a peu de sympathie pour eux. Toute organisation internationale qui vaut le papier sur lequel elle est écrite doit être fondée sur le maintien de la souveraineté de tous les États. La paix doit être recherchée, non en détruisant et en fusionnant les nations, mais en développant l’autorité de la loi dans les relations entre les nations…»

Ces extraits montrent que le sénateur Taft voyait à travers l’«illusion [actuelle] des nations » ; ils expliquent aussi pourquoi son nom était hérésie pour les puissances contrôlant « le vote des Étatsclés » et pourquoi on ne lui permit même pas de se présenter à l’élection présidentielle82. Toute la période de démarchage électoral, de nomination, d’élection et de début de présidence de M. Eisenhower fut dominée par « la question juive » ; il aurait aussi bien pu n’être élu que président des sionistes, tant ses paroles et actions furent constamment orientées vers la poursuite de leur ambition.

Immédiatement après sa nomination, il dit à un certain M. Maxwell Abbell, le président de la Synagogue unie d’Amérique : « Le peuple juif ne pourrait avoir meilleur ami que moi », et ajouta que ses frères et lui avaient été élevés par leur mère dans « les enseignements de l’Ancien Testament » (Mme Eisenhower était une fervente adhérente de la secte des Témoins de Jéhovah), et « J’ai grandi en croyant que les juifs étaient le peuple élu et qu’ils nous avaient donné les principes élevés d’éthique et de morale de notre civilisation » (de nombreux journaux juifs, septembre 1952).

Cela fut suivi d’ardentes professions de solidarité envers « les juifs » et « Israël » de la part des deux candidats à l’occasion du Nouvel An juif (sept. 1952) ; pendant ces festivités, également, la pression américaine sur les Allemands « libres » d’Allemagne de l’ouest réussit à

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leur soutirer la signature de l’accord pour payer des « réparations » à Israël. En octobre eut lieu le procès de Prague, avec l’accusation de « conspiration sioniste », et M. Eisenhower commença à faire ses déclarations menaçantes à propos de « l’antisémitisme en Union soviétique et dans les pays satellites».

L’accusation d’« antisémitisme » était jugée comme un moyen d’obtenir des votes aux élections, et fut portée par le président sortant, M. Truman, contre M. Eisenhower, qui dit en public qu’il était dépassé par cette insinuation : « Ma voix s’étrangle, je vous laisse juger ». Le rabbin Hillel Silver de Cleveland (qui fit des menaces de guerre à l’Union soviétique sur l’accusation d’« antisémitsme ») fut appelé en réunion privée avec M. Eisenhower et il en ressortit qu’il innocenta le candidat de toute souillure antisémite (le rabbin Silver offrit une prière à la Convention républicaine qui désigna M. Eisenhower; à l’investiture du nouveau président, et à la requête de M. Eisenhower, il offrit une prière « pour la grâce et la guidance »). Parmi ses rivaux en campagne, le vice président sortant, un certain M. Alben Barkley, surpassa tous les autres.

À propos d’une déclaration typique de M. Barkley (« Je prédis un avenir glorieux à Israël comme modèle sur lequel la plupart du Moyen- Orient pourrait se former »), Time dit : « La vedette du circuit de parole est le vice président Alben Barkley, qui depuis des années soutire jusqu’à $ 1000 pour chaque apparition. Barkley est un favori des tribunes rémunéré pour les campagnes de vente de bons israéliens. De nombreux Arabes pensent… que ce fait a eu une influence sur la politique des États-Unis au Moyen-Orient ; mais il y a peu d’Arabes qui votent aux élections américaines.

»Quelques semaines après l’investiture, l’accord sur le tribut de l’Allemagne de l’ouest fut ratifié, un ministre allemand annonçant alors que le gouvernement de Bonn avait cédé à la pression de l’Amérique, qui ne souhaitait pas apparaître ouvertement comme le financier de l’État sioniste. Le même mois (avril 1953), les journaux juifs, sous la une « Israël Montre Sa Puissance », rapportèrent que « Tout le corps diplomatique et les attachés militaires étrangers qui regardaient le plus grand défilé de l’armée israélienne à Haïfa, avec la Marine tirée à sec au large et les unités de l’armée de l’air passant au dessus de leurs têtes, furent dûment impressionnés et le but du défilé, démontrer qu’Israël était prête à prendre une décision sur le terrain, fut atteint ».

C’est dans ces circonstances, avec diverses nouveaux « engagements » et promesses dont acte pour le futur, avec Staline mort, Israël prête à « une décision sur le terrain » et la moitié « libre » de l’Allemagne peinant pour payer son tribut, qu’un nouveau mandat présidentiel commença en 1953. Un curieux incident marqua le grand défilé du jour de l’investiture à Washington. À la queue du cortège, se

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tenait un homme à cheval dans un costume de cow boy, qui mit son cheval au pas alors qu’il approchait de la tribune présidentielle, et demanda s’il pouvait essayer son lasso. Docilement, M. Eisenhower se leva et baissa la tête ; le lasso tomba autour de lui et [le cow boy] l’enserra avec ; les images filmées montraient un homme, nu-tête, au bout d’une corde.

Nombreux sont ceux qui pensèrent que le nouveau président prononçait de simple platitudes quand il dit : « L’État d’Israël est l’avant-poste de la démocratie au Moyen-Orient et chaque Américain aimant la liberté doit se joindre à l’effort pour assurer à jamais l’avenir de ce nouveau membre de la famille des nations ». En réalité, c’était un engagement, ou considéré comme tel par ceux à qui il était adressé, de même que les paroles similaires de M. Roosevelt et M. Woodrow Wilson. Huit ans après la mort d’Hitler, le nouvel État, où les lois mêmes d’Hitler avaient cours et d’où la population d’origine avaient été chassée par le massacre et la terreur, était « l’avant-poste de la démocratie » et tous ceux « aimant la liberté » devaient (à l’impératif) s’unir pour le préserver.

Si le nouveau président pensait qu’il était libre de former une politique d’État après avoir prononcé de telles paroles, on lui montra autre chose dans les neuf mois qui suivirent son investiture. En octobre 1953, l’engagement fut rappelé, et de manière impérieuse. Un effort pour agir de manière indépendante, et dans l’intérêt national américain, sur un problème affectant « le plus jeune membre de la famille des nations » fut réprimé, et le président américain contraint de faire pénitence publiquement, ce qui ressemblait beaucoup à la manière dont « Rockland » (Woodrow Wilson) avait été rappelé à l’ordre dans le roman de M. House de 1912.

Cette humiliation du chef de ce que l’humanité considérait comme le gouvernement le plus puissant du monde est l’incident le plus significatif de cette histoire, qui compte de nombreux épisodes, similaires dans leur nature mais moins ouverts à l’appréciation publique. La série d’attaques sionistes envers les États arabes voisins (listée dans la partie précédente) commença le 14 oct. 1953, lorsque tous les habitants du village arabe de Qibya, en Jordanie, furent massacrés. C’était une répétition du massacre de Deir Yassin de 1948, à la différence qu’il fut perpétré hors de la Palestine, ainsi il annonçait délibérément à l’ensemble des peuples arabes qu’en temps voulu ils subiraient tous la « destruction totale », de nouveau avec l’accord tacite de « l’Occident ».

Les faits furent rapportés aux Nations unies par le général danois Vagn Bennike - chef de l’Organisation de surveillance de la trêve (qui reçut des menaces de mort) - et son subalterne responsable immédiat, le commandant E.D. Hutchinson de la Marine américaine, qui décrivit

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l’attaque comme « un meurtre de sang froid » (et fut destitué par la suite). Durant la discussion qui suivit devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le délégué français dit que « le massacre » avait suscité « horreur et réprobation » en France et reprocha à Israël, l’État fondé sur l’affirmation de « persécution », d’« assouvir sa vengeance sur des innocents ». Le délégué grec parla de « l’horrible massacre » et les délégués britannique et américain reprirent en choeur le refrain de la « condamnation » (9 nov. 1953). En Angleterre, l’archevêque de York dénonça cet « horrible acte de terrorisme » et un membre du Parlement conservateur, le major H. Legge-Bourke, le qualifia de « culmination de l’atrocité dans une longue série d’incursions dans des territoires non israéliens, faisant partie d’un projet concerté de vengeance ».

Au moment où ces manifestations d’horreur étaient prononcées, une prime américaine de $ 60 000 000 avait été allouée de fait à Israël pour cet acte, et le président américain avait publiquement cédé à la « pression » sioniste à New York. Voici la chronologie des événements:

Quatre jours après le massacre (18 oct. 1953), le gouvernement américain « décida de réprimander sévèrement son protégé » (The Times, 19 oct.). Il annonça que « les rapports choquants qui sont parvenus au département d’État concernant la perte de vies et de biens impliquée dans cet incident nous convainquent que ceux qui sont responsables devraient rendre compte de leurs actes et des mesures efficaces devraient être prises afin d’empêcher de tels incidents à l’avenir» (ces mots valent la peine d’être comparés avec ce qui se passa quelques jours plus tard). Le Times ajouta: « derrière cette déclaration, il y a une rancoeur grandissante envers la manière désinvolte dont le gouvernement israélien a tendance à traiter les États-Unis - peut-être parce qu’elle croit qu’elle pourra toujours compter sur la pression politique intérieure dans ce pays ». On rapportait même (ajouta Le Times, comme dans un souffle) « qu’une subvention de plusieurs millions de dollars au gouvernement israélien pourrait être suspendue jusqu’à ce que la garantie soit donnée qu’il n’y aura plus d’incidents aux frontières ».

Deux jours plus tard (20 oct.), le département d’État annonça que la subvention a Israël serait interrompue. Si le président Eisenhower estimait qu’avec l’élection de l’an passé et les trois prochaines années devant lui, son administration était libre de formuler la politique nationale américaine, il avait tort. La faiblesse de l’Amérique, et la force de la méthode passe-partout, est qu’une élection est toujours imminente - si ce n’est pas une élection présidentielle, alors une élection au Congrès, à la mairie, la municipalité ou autre. À cette période, trois candidats (deux juifs et un non-juif) concouraient pour la mairie de New York, et la campagne commençait pour les élections au Congrès de 1954, où la totalité des 435 membres de la Chambre des

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députés et un tiers des sénateurs devaient se présenter aux élections. Dans ce contexte, la pression était mise sur la Maison Blanche.

Les trois rivaux de New York commencèrent à surenchérir entre eux pour le « vote juif ». Cinq cents sionistes se rassemblèrent à New York (25 oct.), annoncèrent qu’ils étaient « choqués » par l’annulation de « l’aide à Israël », et exigèrent que le gouvernement « reconsidère et renverse son hâtive et injuste décision ». Le candidat républicain télégraphia à Washington pour demander une entrevue immédiate avec le secrétaire d’État; à son issue, il assura aux électeurs inquiets qu’« une aide économique complète sera[it] donnée à Israël » (New York Times, 26 oct.) et dit qu’elle se monterait en tout à $ 63 000 000 (malgré cela, il ne fut pas élu).

Entre-temps, les directeurs du Parti républicain vociféraient à la porte du président, menaçant de ce qui se passerait aux élections de 1954 s’il ne se rétractait pas. Le 28 octobre, il capitula, une déclaration officielle annonçant qu’Israël recevrait la somme qui lui avait été assignée auparavant, dont $ 26 000 000 dans les six premiers mois de l’année fiscale (sur un total d’environ $ 60 000 000).

Le candidat républicain à la mairie de New York accueillit cela comme « la reconnaissance du fait qu’Israël est un bastion sûr de la sécurité du monde libre au Proche-Orient », et comme un acte de « diplomatie mondiale » typique du président Eisenhower. La véritable illustration de ce qui avait provoqué cet acte fut donnée par M. John O’Donnell dans le New York Daily News, le 28 oct. : « Les hommes politiques de profession ont tenté de lui mettre la main dessus pour de bon. Ike n’a pas du tout aimé ça… mais la pression était si violente que pour maintenir la paix au sein de la famille, il a dû faire marche arrière. Et cette volte-face, politiquement et personnellement, est pratiquement la plus maligne et rapide qu’on ait vue dans cette capitale politique mondiale depuis bien des mois… Depuis une semaine, la pression sur les candidats, qui courent après l’énorme vote juif à New York City, est terrible… L’éducation politique du président Eisenhower a changé à une vitesse vertigineuse ces dix derniers jours ». (Néanmoins, le Parti républicain a bien perdu le contrôle du Congrès aux élections de 1954, ceci étant le résultat familier et invariable de ces capitulations ; et après d’encore plus importantes capitulations, il subit un échec encore plus grand en 1956, lorsque son candidat désigné, à nouveau M. Eisenhower, fut réélu président).

Après cela, le gouvernement américain ne s’aventura plus jamais à « réprimander son protégé » durant la longue série d’« actes [tout aussi]horribles » les uns que les autres commis par ce dernier, et à l’anniversaire de la création d’Israël (7 mai 1954), l’armée israélienne exposa fièrement les armes reçues des États-Unis et de Grande- Bretagne ; une exhibition gigantesque de chars américains et

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britanniques, de jets, de bombardiers et de chasseurs fut alors offerte à la vue. (Les États-Unis avaient rapporté le 12 août 1952 qu’Israël avait « droit à une aide à l’armement » et le 17 janvier 1952, la Grande- Bretagne autorisa l’exportation d’armes vers Israël par des fournisseurs privés).

Deux années de calme relatif suivirent, mais ce n’était que le silence des préparatifs; la prochaine série d’événements était manifestement en train d’être organisée pour l’année de la prochaine élection présidentielle, en 1956. En mai 1955 (le mois où Sir Anthony Eden succéda à Sir Winston Churchill en tant que Premier ministre d’Angleterre), le secrétaire d’État américain, M. John Foster Dulles - comme M. Balfour trente ans auparavant - visita enfin le pays qui ruinait la politique étrangère américaine, comme il avait ruiné celle de l’Angleterre. Après son expérience avec la « réprimande », si rapidement encaissée, il dut réaliser qu’il avait affaire à la force la plus puissante au monde, suprême dans son propre pays, et dont « Israël » n’était que l’instrument utilisé pour diviser et dominer les autres.

Comme M. Balfour, il fut accueilli par des émeutes arabes quand il s’aventura hors de la Palestine. En Israël, peu d’Israéliens le virent - on le poussa dans une voiture fermée, entouré d’une ceinture de policiers, de l’aéroport jusqu’à Tel Aviv. L’opération de police dédiée à son escorte et à sa protection fut appelée « Opération Kitavo », Kitavoétant l’Hébreu pour « Lorsque tu seras entré ». C’est une allusion au Deutéronome 26 : « Lorsque tu seras entré dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne pour héritage… et aujourd’hui, l’Éternel t’a fait promettre que tu serais son peuple spécial, comme il te l’a dit, et que tu observerais tous ses commandements, afin qu’il te donne sur toutes les nations qu’il a créées la supériorité… et afin que tu sois un peuple saint pour l’Éternel ton Dieu ». Ainsi, un secrétaire d’État américain dans l’Israël sioniste n’était-il considéré que comme un personnage mineur dans la grande saga de « l’accomplissement » de la Loi lévitique.

M. Dulles, à son retour, dit qu’il avait trouvé que les Arabes craignaient le sionisme plus que le communisme - une évidence : les Arabes avaient lu la Torah et témoigné de son application littérale sur eux-mêmes à Deir Yassin et Qibya. Il dit lors d’un programme télévisé (selon l’Associated Press, 1er juin 1953) : « les États-Unis respectent fermement la déclaration de 1950 faite conjointement avec la Grande- Bretagne et la France ; elle engage les trois nations à agir au cas où les frontières israéliennes actuelles seraient violées par toute action militaire » (la célèbre « Déclaration tripartite »). Je n’ai pu découvrir si M. Dulles a bien dit cela ou si ses propos furent déformés (la Déclaration était censée être impartiale et garantissait « les frontières du Moyen-Orient et les délimitations de l’armistice », non « les

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frontières israéliennes », mais c’était ce genre d’informations qui parvenait toujours jusqu’au Arabes et en réalité, l’erreur verbale, ou la déformation des propos, s’approchait beaucoup plus de la réalité manifeste de la situation.)

À nouveau, les générations passaient, mais l’ombre grandissante du sionisme s’abattait plus lourdement sur chaque nouvelle génération. Sir Winston Churchill, ses facultés finissant par baisser, abandonna son poste à l’homme auquel il l’avait déjà conféré à la manière d’un potentat décidant de la succession : « Je ne prends aucune mesure dans les affaires publiques sans consulter M. Eden ; il reprendra le flambeau du conservatisme quand d’autres mains plus vieilles l’auront laissé tomber ». Ceci étant le cas, Sir Anthony hérita sans doute du soutien inconditionnel de Sir Winston à « l’accomplissement des aspitations du sionisme » et il se pourrait bien qu’il ait souhaité que le flambeau se trouve en d’autres mains, car ce dernier ne pouvait que détruire, et non éclairer le « conservatisme » et l’Angleterre. Du moment où Sir Anthony accéda à la fonction pour laquelle toute sa vie l’avait préparé, son administration souffrit beaucoup du « problème du Moyen-Orient », de sorte que la fin de sa carrière politique semblait vouée à être aussi malheureuse que celles de M. Roosevelt et de M. Woodrow Wilson.

Et aussi, le scribe pourrait ajouter, celle du président Eisenhower. En septembre 1955, il fut terrassé [par une crise cardiaque - NdT], et même s’il s’en remit, ses photos commencèrent à présenter les traits qui étaient apparus sur celles de MM. Roosevelt et Woodrow Wilson vers la fin de leurs mandats. La « pression » que ces hommes puissants en apparence doivent supporter en ce « siècle juif » semble avoir quelque effet qui se révèle sur un visage rongé par les soucis. Ils sont entourés de faiseurs de louanges, mais s’ils essaient de suivre leur conscience et de faire leur devoir, on les oblige avec acharnement à rendre des comptes. Après sa première expérience, l’attente générale était qu’Eisenhower ne se présenterait pas une deuxième fois.

Ce n’était pas un républicain, et durant son premier mandat il se sentit mal à l’aise en président « républicain ». En vérité, peu après son investiture, ses « tracas avec la puissante aile droite du parti » (en d’autres mots, avec les républicains traditionnels, qui étaient pour le sénateur Taft) « atteignirent de tels extrêmes que pendant un temps, il réfléchit longuement à l’idée d’un nouveau parti politique en Amérique, un parti auquel les personnes ayant la même philosophie, indépendamment de leur affiliations précédentes, pourraient se rallier… Il commença par demander à ses associés les plus intimes s’il ne fallait pas qu’il se mette à réfléchir à un nouveau parti. Tel qu’il l’imaginait, un tel parti aurait avant tout été son parti. Il aurait représenté les doctrines, internationales et nationales, qu’il croyait être

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les meilleures pour les États-Unis et à vrai dire pour le monde83 ». Il n’abandonna cette idée que lorsque la mort du sénateur Taft laissa le Parti républicain sans leader naturel et lorsque le Sénat, sur incitation personnelle du président, condamna le sénateur Joseph McCarthy du Winsconsin pour son attaque fervente du communisme au sein du gouvernement. La colère publique suscitée par la révélation de l’infestation communiste de l’administration sous les présidents Roosevelt et Truman fut l’une des causes principales du revirement des votes en faveur du Parti républicain (et de son candidat, M. Eisenhower) en 1952.

Ainsi, à la fin de l’année 1955, une année d’élection présidentielle était-elle à nouveau imminente, dans des circonstances que le pouvoir dominant en Amérique avait toujours trouvées idéales : un président souffrant, des politiciens de parti avides de « vote juif », une situation de guerre au Moyen-Orient et une autre en Europe. Dans une telle situation, la « pression politique intérieure » dans la capitale du pays le plus riche et le mieux armé du monde pouvait pratiquement produire n’importe quel résultat. Les directeurs du Parti républicain, voulant à tout prix conserver au moins un républicain nominal à la Maison Blanche s’ils n’arrivaient pas à obtenir une majorité au Congrès, se rassemblèrent autour d’un homme malade et le poussèrent à se présenter.84

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La véritable campagne commença, comme toujours, une bonne année avant l’élection elle-même. En septembre 1955, le gouvernement égyptien du président Gamal Abdel Nasser passa un contrat avec l’Union soviétique pour l’achat d’armes. La « Déclaration tripartite » américano-franco-britannique de 1950 stipulait qu’Israël et les États arabes pouvaient acheter des armes à l’Occident. Le président Nasser, pour justifier son acte, déclara (16 nov. 1955) qu’il n’avait pas réussi à obtenir « une seule pièce d’armement de la part des États-Unis en trois ans de tentatives » et accusa le gouvernement américain de « tentative délibérée de maintenir perpétuellement les Arabes à la merci d’Israël et de ses menaces ».

Cet achat égyptien d’armes aux Soviétiques produisit une tempête de protestations immédiate à Wahington et Londres similaire à celle qui s’était élevée en 1952-3 à propos du « procès des docteurs juifs ». Le président Eisenhower fit appel à l’Union soviétique pour différer l’expédition d’armes vers l’Égypte (la majeure partie de ces armes venait de l’usine d’armement de Skoda en Tchécoslovaque, qui était tombée sous possession soviétique en conséquence des accords de Yalta de 1945 et qui avait fourni les armes permettant à « Israël » de s’installer en 1947-8 et d’« acclamer les Soviétiques comme des libérateurs »).

À Londres, le même jour (9 nov. 1955), Sir Anthony Eden accusa l’Union soviétique de créer des tensions guerrières au Moyen-Orient ; le ministre des Affaires étrangères britannique, M. Harold Macmillan, se plaignit de l’introduction d’un « nouveau facteur inquiétant dans cette situation délicate ». Pour les Arabes, toutes ces paroles venues d’Occident signifiaient ce qu’elles avaient toujours signifié : qu’on donnerait des armes à Israël et qu’on les refuserait aux Arabes.

Après cela, la campagne de propagande enfla jour après jour, de la même manière que celle de 1952-3, jusqu’à ce qu’en quelques semaines, le souvenir des trois années d’attaques israéliennes des pays arabes et les condamnations de celles-ci par les Nations unies aient été effacés de l’esprit public. À sa place, le lecteur moyen reçut l’impression quotidienne qu’Israël désarmée, par la faute de l’Occident, était laissée à la merci de l’Égypte, armée jusqu’aux dents grâce aux armes « rouges ». À ce stade précoce, la vérité de l’affaire fut publiée une fois : une importante autorité militaire américaine, M. Hanson W. Baldwin, parlant de la fourniture d’armes américaines à Israël, dit :

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« Nous essayons de maintenir un « équilibre » très difficile entre les Israéliens et les Arabes. Ce n’est pas actuellement, et il est peu probable que ce le soit bientôt, un véritable équilibre dans le sens où les deux bords possèdent une force militaire équivalente. Aujourd’hui, Israël est nettement supérieure à l’Égypte, et à vrai dire, à la force combinée de l’Égypte, de la Jordanie, de l’Arabie Saoudite, du Liban, de la Syrie et de l’Irak » (New York Times, 11 nov. 1955).

On ne permit plus à cette vérité d’atteindre les masses lisant les journaux dans les onze mois qui suivirent, en tous les cas d’après mes observations85. Elles furent maintenues perplexes par la clameur grandissante à propos des « armes rouges pour les Arabes », qui donnait le ton pour les deux campagnes électorales (pour le Congrès et pour la présidence) commençant alors86. Tous les candidats à la présidence du côté des démocrates (MM. Estes Kefauver, le gouverneur Harriman de l’État de New York, Stuart Symington et Adlai Stevenson) firent des déclarations incendiaires dans ce sens87. À un moment, un comité sioniste américain réfléchit à une « manifestation à Denver » mais se ravisa (le président y était à l’hôpital après son attaque), et à la place aborda tous les candidats des deux partis, pour leur demander de signer une « déclaration de politique » contre la subvention d’armes à tout État arabe. 120 candidats au Congrès signèrent sur-le-champ, et plus tard le nombre atteignit 102 pour les démocrates et 51 pour les républicains (New York Times, 5 avril 1956). L’excès de signataires démocrates explique la déclaration faite au Congrès sioniste mondial à Jérusalem le 26 avril par M. Yishak Gruenbaum, un important homme politique israélien et ex-ministre : « Israël n’obtiendra pas de soutien des États-Unis aussi longtemps que la direction républicaine sera aux commandes ». C’était, de la part d’Israël, la demande publique que les juifs américains votent pour les démocrates, et la croyance des directeurs de parti américain dans le pouvoir du « vote juif » aux États-Unis fut renforcée, à cette occasion, par le succès des démocrates à l’élection au Congrès, succès désiré par M. Gruenbaum à Jérusalem.

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Dans ce climat de « pression » sur un président souffrant par le biais des directeurs de parti et d’une campagne de plus sur « la persécution des juifs » (symbolisée, cette fois, par Israël), l’année de l’élection présidentielle commença. Dès le début, les observateurs expérimentés virent qu’elle avait été choisie (comme les années des élections présidentielles précédentes) comme une année de crise montante organisée qui pourrait exploser en guerre générale. La base de tous les calculs était la « pression politique intérieure » qui pouvait être exercée sur le gouvernement américain et ses actions.

Dans le monde réel, l’année débuta, typiquement, par une nouvelle « condamnation » unanime (19 jan. 1956) d’Israël pour une attaque « délibérée » et « flagrante » (celle de la Syrie, le 11 déc. 1955). C’était la quatrième condamnation majeure en deux ans et elle arriva au moment où la campagne de propagande à propos de « l’absence de défenses » d’Israël et « l’agression » arabe battait déjà son plein en Occident. À la même période, un « état d’urgence national » fut déclaré en Israël.

L’attaque sioniste s’en prit alors au noyau de représentants officiels responsables du département d’État américain qui (comme ceux du ministère des Colonies et du ministère des Affaires étrangères britanniques lors de la génération précédente) tentaient d’éviter les « engagements » périlleux envers Israël. En novembre 1955, l’organistation sioniste religieuse la plus importante au monde, l’Organisation Mizrahi d’Amérique, avait déclara à Atlantic City qu’« une clique » d’« élements anti-Israéliens au département d’État des États-Unis » était en train de « bloquer l’aide effective des États-Unis à Israël » (ceci est, mot pour mot, la plainte faite par le Dr Chaim Weizmann contre les représentants officiels britanniques sur une période de trois décennies, 1914-1947).

Lors de l’année de l’élection présidentielle de 1956, l’homme qui reprit le fardeau en Amérique fut M. John Foster Dulles, le secrétaire d’État. Immédiatement après la « condamnation » d’Israël par le Conseil de sécurité de l’ONU, en janvier, M. Dulles annonça qu’il était en train d’essayer d’obtenir l’accord des principaux hommes politiques démocrates pour maintenir la question israélo-arabe « en dehors du débat durant la campagne électorale présidentielle » (24 jan. 1956). Le New York Times commenta : « On sait que M. Dulles s’est plaint que les représentants de l’ambassade israélienne [aux États-Unis] ont cherché à persuader les candidats au Congrès de prendre une position favorable à la cause israélienne… Le secrétaire désire vivement qu’aucun des deux partis ne complique les délicates négociations pour une solution au Moyen-Orient en débattant de la question israélienne pour des avantages personnels ou partisans, lors de la campagne électorale… Particulièrement, il craint que quelque chose ne soit

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déclaré pendant la campagne présidentielle qui pourrait inciter les Israéliens à penser que les États-Unis pourraient tolérer ou collaborer à une invasion israélienne des territoires arabes ». Ainsi, M. Dulles se plaignait-il de la « pression politique » rapportée par le président Truman dans ses mémoires88, et tenta-t-il, en 1956, ce que M. Forrestal avait tenté en 1947 - au prix d’une destitution, d’une dépression et d’un suicide. Il fut immédiatement attaqué par la presse (autant en Amérique qu’en Angleterre) de la même manière que M. Ernest Bevin et M. Forrestal dans les années 1947-8. Il reçut une lettre réprobatrice d’« un groupe de membres républicains au Congrès », auxquels il répondit d’un ton apaisant (7 fév. 1955) que « La politique étrangère des États-Unis inclut la préservation de l’État d’Israël… Nous n’excluons pas la possibilité de vendre des armes à Israël ». Entre-temps, il avait péché davantage, car le Jerusalem Post, qui en 1956 était une sorte de Court Gazette des capitales occidentales, annonça qu’il avait commis « un acte mineur mais inamical… il a reçu pendant 45 minutes une délégation du Conseil américain pour le judaïsme89».

Le Conseil sioniste américain « protesta » immédiatement contre la proposition de M. Dulles que la question palestinienne soit maintenue « en dehors du débat » durant l’élection présidentielle ; son président, un certain rabbin Irving Miller, qualifia cela de « vision erronée, le fait qu’un segment particulier de la politique étrangère soit retiré de l’arène du débat public libre et sans entraves». Quant à cette absence d’entraves, les rares allusions suivantes à la situation actuelle apparurent à cette époque dans la presse américaine : « Les querelles d’Israël avec ses voisins ont été transférées à chaque tribune

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américaine, où le simple fait d’expliquer pourquoi les Arabes ressentent ce qu’ils ressentent fait de vous un candidat à l’anéantissement professionnel » (Miss Dorothy Thompson) ; « Une politique pro-égyptienne ne donnera aucune voix aux républicains dans le New Jersey, le Connecticut ou le Massachussets, et lorsque qu’on discute avec des hommes politiques de profession, on entend peu parler de la question » (M. George Sokolsky) ; « Les cerveaux politiques soutiennent que pour obtenir le vote juif dans des États aussi cruciaux que New York, le Massachussets, l’Illinois, le New Jersey et la Pennsylvanie, les États-Unis devraient apporter un soutien total contre les Arabes » (M. John O’Donnell).

Le développement suivant fut une annonce dans le New York Times (21 fév. 1956) que M. Dulles devrait « faire face à une enquête sur la politique étrangère » demandée par la Commission des affaires étrangères du Sénat « pour enquêter sur les tournants et les virages de l’administration dans sa politique d’armement au Moyen-Orient ». M. Dulles parut comme prévu devant la Commission (24 fév. 1956) et cela mena à un incident significatif. Habituellement, le public en Amérique et en Angleterre est défendu d’exprimer toute opinion défavorable sur l’aventure en Palestine, qui lui coûte si cher ; les candidats à l’élection ne peuvent espérer être désignés par le parti s’ils ne souscrivent pas à la vision sioniste, et la presse en général refuse de publier toute autre vision. À cette occasion, le représentant responsable au cabinet donna une audience constituée d’autant d’Américains que pouvait en contenir l’espace réservé aux spectateurs, et ils l’ovationnèrent à son entrée, pendant qu’il parla, et à sa sortie.

La raison de ces ovations était claire, et l’incident montrait comment le public occidental réagirait si leurs leaders politiques faisaient jamais appel à eux franchement concernant cette question. M. Dulles dit entre autres choses : « une des plus grandes difficultés auxquelles les États-Unis doivent faire face dans leur rôle de tentative de médiation entre Arabes et Israéliens est la croyance du monde arabe selon laquelle l’approche de Washington serait guidée par des pressions politiques internes». Il y avait le danger que les Israéliens « précipitent ce qu’on appelle une guerre préventive ». Si cela se produisait, les États-Unis « ne s’engageront pas au côté d’Israël » parce qu’ils ont des engagements avec leurs alliés : s’opposer à toute nation qui commencerait une « agression » au Moyen-Orient. Il « suggéra plusieurs fois que les pressions politiques internes étaient exercées pour tenter de forcer l’administration à prendre une tournure excessivement et imprudemment pro-israélienne au Moyen-Orient ».

Ce qui était applaudi alors était clair, et c’était la première allusion officielle et publique, devant une assistance grand public, à la poigne qui maintient l’Occident en servitude. La manifestation

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d’approbation publique ne diminua pas les « pressions » dont M. Dulles se plaignait. Quelques semaines plus tard (12 avr. 1956), il fut interpelé devant les leaders du Congrès pour faire un compte rendu sur le Moyen-Orient et leur dit : « Je crains qu’il ne soit trop tard pour une solution pacifique ». Il indiqua que les deux « facteurs-clés » dans la politique des États-Unis [au Moyen-Orient] étaient « en conflit », à savoir : « La rétention des immenses ressources de pétrole de la région à des fins militaires et économiques en Europe de l’Ouest » (ces ressources se trouvent actuellement dans les pays arabes), et « la préservation d’Israël en tant que nation ». Le leader de la Chambre des démocrates, M. John McCormack, demanda alors sur un ton péremptoire : « Quelle politique est prioritaire, sauver Israël, ou conserver la mainmise sur le pétrole ? » Par sa réponse : « Nous essayons de faire les deux », M. Dulles montra que tout l’Occident était plus profondément que jamais prisonnier du dilemme insoluble créé par la participation originelle de la Grande-Bretagne au sionisme.

Dans l’effort vain de « faire les deux », M. Dulles empira bientôt les choses. Apparemment, il n’avait jamais eu aucun espoir que sa proposition originelle réussirait ; il « poussa un beuglement de rire sardonique » quand on lui demanda, lors d’une conférence de presse à la même époque, s’il croyait vraiment qu’il pourrait faire retirer la question israélo-arabe de la politique. Au moment même où il parlait devant la Commission du Sénat (ses spectateurs auraient-ils applaudi, s’ils avaient su ?) , on était en train d’imaginer la méthode par laquelle l’Amérique pourrait annoncer officiellement qu’elle ne fournirait pas du tout d’« armes au Moyen-Orient », et en même temps garantirait qu’Israël reçoive de telles armes, lui permettant de lancer la « guerre préventive » que le secrétaire d’État « craignait ». Le moyen était similaire à celui utilisé dans le cas des « réparations » de l’Allemagne de l’ouest, qui furent exigées sous la pression américaine et assuraient l’approvisionnement d’Israël en argent ou en biens sans que cela n’apparaisse dans aucun budget américain.

Immédiatement après le rapport de M. Dulles devant la Commission du Sénat, et apparemment en réponse à celui-ci, les troupes israéliennes réalisèrent « une attaque organisée à l’avance et planifiée » des Égyptiens dans le territoire de Gaza, tuant trente-huit personnes (27 fév. 1956), et fut condamnée pour « agression brutale » par l’U.N.M.A.C. En quelques semaines, les chroniqueurs commencèrent alors à faire des allusions à la nouvelle façon de fournir des armes à Israël : « Si les États-Unis vendaient des armes à Israël, cela rouvrirait le pipeline d’armes communiste vers les États arabes… apparemment on pense que la même chose n’arriverait pas si la Grande-Bretagne, la France et le Canada satisfaisaient aux demandes d’armes de la part d’Israël… On estime ici que si les Alliés vendent des

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armes à Israël, les États-Unis pourront maintenir leur propre situation d’impartialité.»

C’était « faire les deux » en pratique. Le rabbin Hillel Silver (le leader sioniste qui avait prononcé la prière pour la « grâce et la guidance » à l’investiture du président) déclara alors en Israël que « l’administration Eisenhower n’a pas encore dit son dernier mot sur les armes pour Israël » (New York Times, 4 avr. 1956). De retour à Washington, il eut « une discussion très franche et amicale » avec le président. Puis on révéla que les États-Unis « encourag[eai]ent discrètement les gouvernements français et canadien à vendre des armes à Israël » (New York Times, avril 1956). Plus, ces dernières se révélèrent être en vérité des armes fournies par les Américains, car le gouvernement français annonça officiellement (12 mai 1956) que le gouvernement américain « avait accepté de retarder les livraisons afin de permettre à la France d’effectuer rapidement une dernière livraison de douze avions Mystère IV en Israël ». Ils faisaient partie des avions français qui seraient utilisés lors de l’attaque de l’Égypte cinq mois plus tard ; le fait que l’armée de l’air française y prendrait part ne fut pas révélé en mai90.

Pour être clair : le gouvernement américain finançait l’achat d’armes pour ses alliés dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord à cette époque, en passant des commandes aux fabricants étrangers. Ces livraisons financées par les Américains étaient détournées vers Israël sur « l’incitation » américaine. Donc le Traité de l’Atlantique Nord, censé au départ être une alliance de l’Occident contre « l’agression soviétique » et le « communisme », fut lui aussi détourné à des fins sionistes. Signé en 1949, le but prétendu originel était que les membres (l’Amérique et le Canada, l’Angleterre, la France et dix autres pays européens, puis la Turquie) considéreraient toute attaque de l’un d’entre eux comme une attaque de tous et porteraient assistance à celui qui est attaqué.

Donc le gouvernement américain, tout en s’en prenant à l’Union soviétique pour avoir fourni des armes à l’Égypte et déclarant que luimême ne promouvrait pas « la course à l’armement » au Moyen-Orient en fournissant des armes à Israël, procurait en réalité des armes à Israël afin de maintenir la supériorité de cette dernière sur la totalité des sept pays arabes. Ici, M. Dulles opérait avec une pincée de

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machiavélisme qui eut l’effet de l’huile sur le feu. L’acte d’acquisition de matériel militaire ne fut même pas tenu secret : comme les citations ci-dessus le montrent, on lui fit de la publicité et on l’utilisa comme un discours vantard destiné à obtenir des voix dans cette campagne électorale, dont M. Dulles avait demandé que la question israélo-arabe soit tenue à l’écart.

Un curieux effet secondaire de ces machinations en Occident était que les déclarations faites, sur cette question particulière, par les dirigeants totalement sans scrupules de Moscou prenaient une apparence d’honnête respectabilité. Par exemple, le gouvernement soviétique, lorsque la tempête de protestations occidentale à propos des « armes pour l’Égypte » commença, envoya une note aux gouvernements américain, britannique, égyptien et tchécoslovaque, déclarant : « Le gouvernement soviétique considère que chaque État possède le droit légitime de s’occuper de sa défense et d’acheter des armes pour ses besoins défensifs à d’autres États dans les conditions commerciales normales, et qu’aucun État étranger n’est en droit d’intervenir ». C’était une déclaration irréprochable d’une position légale, et même morale, et elle fut reprise par Israël, car pendant que le tapage occidental enflait, le ministre israélien des Affaires étrangères, M. Moshé Sharett déclara alors à New York (10 nov. 1955) : « Si nous sommes acculés et que notre existence est en péril, nous chercherons et accepterons des armes de n’importe quelle provenance mondiale » (en réponse à une question de savoir si les Soviétiques avaient offert des armes à Israël). Ainsi, toute l’essence du tollé en Occident était en fait que les armes soviétiques ne devaient pas aller aux États arabes, et pour cela, aucune espèce d’argument moral ou légal n’existe.

Dans ce contexte, « Israël sans défense » (M. Ben Gourion) organisa son défilé anniversaire le 16 avril 1956 avec force exhibition d’avions et de chars américains, britanniques et français (New York Times, 17 avril) ; les armes soviétiques furent probablement retirées du défilé à cette occasion, en accord avec la propagande du moment en Occident. Le 24 avril, à Jérusalem, M. Ben Gourion proclama une fois encore le projet nationaliste et expansionniste : « Le rassemblement continu d’exilés est le but suprême d’Israël et la condition sine qua non de la réalisation de la mission messianique qui a fait de nous un peuple éternel ».

Le subterfuge par lequel les États-Unis procurait des armes à Israël tout en refusant officiellement de les fournir (« Personne ne se réjouit particulièrement de notre décision de ne pas vendre d’armes à Israël mais d’encourager d’autres alliés à le faire, et d’abandonner du matériel réservé à cette fin», New York Times, 19 mai 1956) n’amenait aucun répit au président américain. Une soumission déclarée est la condition requise invariable, et la colère sioniste commença à être

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dirigée contre lui. La veille de son second gros problème de santé (au début de l’été, il dut subir une opération pour une hépatite), les railleries commencèrent à fuser contre lui, comme quoi il n’était qu’un « président à temps partiel ». Une éminente sioniste, Mme Agnes Meyer, lança la chose en disant devant un public juif à New York que pendant que « le bastion de la démocratie » (Israël) était en péril « le président n’est pas à son poste à Washington ; il joue au golf à Augusta », et le poussant à se demander « si cette nation peut se permettre un président à temps partiel ». Sa seconde maladie, qui suivit presque immédiatement, interrompit cette attaque particulière pendant un temps, mais le président Eisenhower, comme d’autres avant lui, n’eut pas le loisir d’oublier que les ressources entières de la propagande sioniste pourraient à tout moment se retourner contre lui s’il sortait de la ligne de ses prédécesseurs.

Tandis qu’il se débattait dans ces rets, outre-Atlantique un autre Premier ministre semblait sur le point d’être broyé sous la roue sioniste. Sir Anthony Eden, à un tout autre siècle, serait devenu un homme d’État majeur ; à ce siècle-ci, l’ « engagement » dont il hérita fut dès le début de son ministère un boulet à traîner derrière lui.

Aucun homme politique au monde ne l’égalait, quand il prit la fonction de Premier ministre en 1955, en qualification et en expérience. Il était de la génération de la Première Guerre, si bien que le souvenir des champs de Flandre [champs d’honneur - NdT] formèrent l’arrière-plan de toute sa vie d’adulte, qui par la suite fut entièrement consacrée à la politique. Il venait d’une vieille famille avec une tradition héritée pour le service, et était brillant et de belle prestance. Il s’éleva au poste de ministre à un jeune âge et, avec de courts intervalles, occupa poste élevé sur poste élevé pendant plus de vingt ans, durant lesquels il en vint à connaître personnellement chaque dictateur et député d’Europe et d’Amérique du Nord. Il acquit ainsi une expérience unique pour les années éprouvantes qui se profilaient ; seul Sir Winston Churchill, dans le monde entier, avait un rang comparable de connaissances, de négociation et en général de formation à ce qui autrefois était considéré comme l’art de la diplomatie.

Il était encore jeune pour la fonction de Premier ministre, quand Sir Winston céda à la loi de l’âge et tendit « le flambeau » à l’homme qu’il avait décrit comme incarnant « l’espoir de vie de la nation britannique » (1938), M. Eden (tel qu’il était en 1938) s’attira l’espoir des hommes de sa génération par sa démission du gouvernement britannique en protestation contre la politique d’apaisement d’Hitler, qui (jugea-t-il à raison) était le chemin le plus sûr vers la guerre. Le fait qu’on donna son nom à l’événement d’octobre 1956 rendit celui-ci plus difficile à supporter pour ses contemporains.

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J’ai connu M. Eden, comme un correspondant étranger pourrait connaître un homme politique, dans les années qui menèrent à la Seconde Guerre, et en vertu de nos sentiments similaires en cet âge sombre, j’ai pu lui écrire par la suite à des moments où il semblait perdre le contact avec l’esprit de sa génération et recevoir une réponse plaisante, témoignant d’une relation ancienne et de la lecture attentive de mes livres. Je le vis, en 1935, sortir la mine troublée d’une première rencontre avec Hitler, qui avec des accents menaçants lui avait dit que l’armée de l’air allemande (alors officiellement non-existente) était plus importante que l’armée de l’air anglaise. Je l’accompagnai à Moscou et pus confirmer auprès de lui quelque chose que j’avais entendu concernant sa première rencontre avec Staline : que le bandit géorgien avait montré du doigt le petit point sur la mappemonde qui représentait l’Angleterre, et dit combien il était étrange qu’un si petit pays détienne la clé de la paix mondiale (une affirmation correcte à l’époque). Avec ces souvenirs personnels, je fus probablement plus atterré que la plupart des hommes quand j’appris l’action dans laquelle on le fourvoya à tort en octobre 1956.

Dès le début, en mai 1955, l’observateur expérimenté put voir qu’il n’était en vérité pas tant le Premier ministre que le ministre de la question juive, représentée à sa génération par l’État sioniste et son ambition. Cela signifiait que toute la durée de sa fonction tomberait sous l’emprise de cette ombre et que son destin politique serait déterminé par ses actions eu égard au sionisme, et non par sa réussite ou son échec en matière d’intérêt national. Cela fut illustré à la veille de son ministère, alors qu’il était encore ministre des Affaires étrangères pour quelques semaines de plus. Le gouvernement britannique avait conclu un arrangement avec l’Iran et la Turquie pour assurer la défense des intérêts britanniques au Moyen-Orient, dont les ressources en pétrole étaient vitales à l’Angleterre et aux dominions des antipodes. Le débat à la Chambre des communes ignora cette aspect et pesta contre les conséquences de cet accord « sur Israël », si bien que deux membres isolés (sur 625) protestèrent : « Ce débat n’est pas sur la Palestine, et le ministre des Affaires étrangères doit rechercher les intérêts mondiaux et les intérêts de la Grande-Bretagne, même s’ils causent de la contrariété et de l’embarras à d’autres États » (M. Thomas Reid) ; « À en juger par presque tous les discours des honorables membres des deux partis, on serait pardonné d’avoir imaginé que le débat concernait avant tout les conséquences d’un pacte sur Israël, au lieu de l’amélioration de notre système défensif mondial contre la menace de l’impérialisme russe » (M. F. W. Bennett).

Ce à quoi un membre socialiste juif répondit : « Pourquoi pas ? » Dans les faits, il était à cette époque devenu quasiment impossible de débattre d’une quelconque question majeure excepté en termes de ses

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conséquences pour Israël, et cela préfigurait nettement le cours que prendrait le ministère de Sir Anthony.

Durant les derniers mois de 1955, alors Premier ministre, il continua à se démener sur « la question du Moyen-Orient », suggérant lors d’une occasion qu’une force internationale soit placée entre Israël et les États arabes (les États-Unis rechignaient) et lors d’une autre, qu’Israël pourrait accepter des rectifications de frontière mineures, comme elle s’était emparé en 1948 de plus de terres que ne lui en avait « attribuées » les Nations unies (cela provoqua des accusations sionistes furibondes dans les journaux new-yorkais, comme quoi « la Grande-Bretagne avait rejoint le rang des ennemis d’Israël »). Puis, l’année de l’élection présidentielle - et la crise de Sir Anthony - commencèrent. La machine sioniste démarra en quatrième vitesse, jouant Washington contre Londres et Londres contre Washington avec le savoir-faire de quarante années d’expérience. En mars, une chose significative se produisit ; ignorée du monde, elle rendit certaine une attaque prochaine de l’Égypte pour l’observateur attentif des événements.

La veille de la Pâque juive, la mystérieuse « Voice of America » diffusa une commémoration, chargée d’allusions explosives d’actualité, de « l’évasion des juifs hors de la captivité égyptienne». Considéré dans sa relation évidente au bombardement de propagande de l’Égypte alors en cours à Washington et Londres, cela présageait clairement des événements violents avant la Pâque prochaine. Le peuple américain en général ne sait rien de ce que « The Voice of America » dit, ou à qui elle parle. Même en faisant des recherches, je n’ai pu découvrir quel ministère officiel est censé superviser cette « voix », qui est utilisée pour exprimer les intentions du gouvernement américain à des populations auditrices lointaines. J’ai pu apprendre que ses fonds, budgétaires et autres, sont immenses et qu’elle se compose en majorité de juifs de l’Est. Elle semble fonctionner dans l’irresponsabilité et le secret91.

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Dès ce moment, tout le poids de la propagande occidentale se retourna contre l’Égypte. Les événements qui suivirent peuvent être considérés à la lumière des notes personnelles d’Henry Stimson, ministre de la Guerre, durant la période précédant Pearl Harbour, selon lesquelles le but de l’administration du président Roosevelt était de manoeuvrer le Japon afin qu’il « tire le premier ». Les événements postérieurs eurent tous l’apparence d’avoir été conçus pour manoeuvrer l’Égypte afin qu’elle tire la première. L’Égypte ne fit pas cela. Alors le monde décida que tirer le premier n’était plus nécessaire pour se qualifier en tant qu’agresseur ; le pays en question pouvait être surnommé l’agresseur alors qu’il était en train d’être envahi, et même avant ; les ressources de la propagande de masse en étaient arrivées à ce point-là au cours du XXe siècle. Toutes les « condamnations » d’Israël pour cause d’agression n’avaient rien signifié.

La période de crise commença le 7 mars 1956 (juste avant l’émission de « The Voice of America » sur la captivité égyptienne) alors que Sir Anthony Eden faisait à nouveau face à l’éternelle question à la Chambre des communes. À cette période, ses adversaires socialistes (malgré les nombreuses « condamnations » d’Israël) étaient acharnés dans leur réclamation d’armes pour Israël et d’« un nouveau traité de garanties pour Israël » ; comme les politiciens new-yorkais, ils voyaient

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l’espoir d’arriver au pouvoir dans une nouvelle soumission à Sion. Le Premier ministre « dut subir une tempête de vitupérations et d’insultes dépassant tout ce qu’on avait pu entendre à la Chambre des communes depuis les derniers jours du ministère de Neville Chamberlain » (le New York Times) ; « Ce fut une scène qui, pendant un temps, sembla choquer même ceux qui l’avaient causée ; le président de la Chambre lui-même dut intervenir pour implorer la Chambre d’écouter le Premier ministre » (le Daily Telegraph). Sir Anthony protesta en vain qu’il avait été entendu avec politesse « pendant plus de trente ans » par la Chambre. À ce moment, il se pouvait qu’il espérait un soutien américain, car le même jour le président Eisenhower dit qu’il était « inutile d’essayer de maintenir la paix au Moyen-Orient en armant Israël, avec ses 1 700 000 habitants, contre 40 000 000 d’Arabes » (l’acquisition américaine d’armes pour Israël était alors en cours).

En Angleterre, Sir Anthony trouva tout le monde contre lui. Le Daily Telegraph (prétendument dans le camp de son propre parti) pouvait dans ses rapports d’information paraître choqué de la manière dont la Chambre le traitait, mais dans ses éditoriaux elle disait que les arguments pour donner des armes à Israël étaient « irréfutables », un mot qui épargne toujours le besoin d’apporter des arguments corroborants. Ses opposants, les socialistes, s’affranchirent de toute retenue dans leur empressement à le renverser au moyen d’Israël. Le journal de gauche principal, le New Statesman, dans deux éditions successives, dit que l’Angleterre n’avait aucun droit ou moyen de mener une guerre quelles que soient les circonstances et devait déposer toutes les armes (« Une défense efficace est maintenant audessus de nos moyens et le désarmement est la seule alternative à l’annihilation », 10 mars) et que l’Angleterre devait armer Israël et s’engager à partir en guerre pour Israël (« la guerre sera moins probable si Israël est fournie en armes modernes et le parti travailliste a raison de pousser à ce qu’Israël les obtienne maintenant… Le problème n’est pas tant le côté peu souhaitable de garantir une frontière qui n’a pas encore été formellement établie… mais la question militaire de rassembler et de fournir la force nécessaire… Dispose-t-on d’une puissance navale suffisante en Méditerranée orientale ? Est-ce que M. Gaitskell » (le leader socialiste) « est seulement sûr que le public britannique l’appuierait pour partir en guerre, probablement sans l’appui des Nations unies, en défense d’Israël ? » (17 mars).

Les conséquences innombrables de l’engagement originel - en apparence mineur - envers Sion peuvent être observées dans de telles citations. À cette occasion, Sir Anthony Eden parut tenter, de concert avec le gouvernement des États-Unis, d’endiguer une course folle, mais il donna un « avertissement à l’Égypte » qui n’était pas alors justifié et était de mauvais augure, comme les événements le

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montrèrent. À cette période, les gouvernements britannique et américain courtisaient (officiellement) l’amitié égyptienne dans l’espoir d’aider à pacifier le Moyen-Orient. Dans ce but commun, l’Angleterre, « sous la pression américaine », se préparait à retirer ses troupes du canal de Suez92.

Pourquoi Sir Anthony Eden céda sans garanties à « la pression » pour lâcher ce qui, immédiatement après, fut proclamé comme « la nécessité vitale » du Commonwealth britannique fait partie de ces questions auxquelles les hommes politiques ne répondent jamais. La « pression » de Washington sur les sujets liés au Moyen-Orient a toujours été, dans les quatre dernières décennies, une pression sioniste, en définitive ; et à environ la même époque, un journaliste égyptien - M. Ibrahim Izza - fut cordialement reçu par le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre travailliste israéliens, qui lui dirent qu’« Israël et l’Égypte avaient le but identique de s’opposer à l’influence britannique au Moyen-Orient » (Rose el- Youssef, mai 1956 ; New York Times, 20 mai 1956).

La conséquence de cette soumission à la pression devint très vite évidente : il y aurait la guerre, impliquant l’Angleterre dans une grande humiliation, un fiasco. Le retrait britannique était censé être la moitié d’un plus large arrangement anglo-américain pour « gagner l’amitié des Arabes », et l’autre moitié américaine n’avait pas encore été acquittée. Elle consistait à se joindre au gouvernement britannique et à la Banque mondiale pour fournir $ 900 000 000 pour la construction d’un barrage sur le Nil à Aswan (l’offre avait été faite à l’Égypte en décembre 1955).

La chronologie des événements devient à nouveau importante. Les troupes britanniques se retirèrent du canal de Suez en juin 1956, comme promis. Le 6 juillet 1956, le porte-parole du département d’État dit à la presse que l’offre du barrage d’Aswan « tenait toujours ». Quelques jours plus tard, l’ambassadeur égyptien à Washington annonça que l’Égypte avait « décidé de manière définitive qu’elle souhaitait l’aide occidentale pour le barrage ». Le 19 juillet, l’ambassadeur égyptien rendit visite à M. Dulles pour accepter l’offre. On lui dit que le gouvernement des États-Unis avait changé d’avis.

À Londres la veille, le porte-parole du bureau des Affaires étrangères avait annoncé que la partie britannique de l’offre « tenait toujours ». Le 19 juillet, le porte-parole informa la presse (et non l’ambassadeur égyptien) que l’offre britannique, elle aussi, était retirée.

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Le porte-parole refusa de donner les raisons mais reconnut qu’il y avait une « concertation continue entre Whitehall et Washington ».

Donc, la « pression » pour rendre furieux les Égyptiens par cet affront méprisant venait du même endroit que la « pression » pour les apaiser en se retirant du canal de Suez. Le gouvernement britannique se retrouva seul dans son coin, pour reprendre l’expression américaine ; si la première soumission avait été faite dans la confiance en l’annonce du président Eisenhower en février (selon laquelle il voulait « stopper la détérioration des relations entre les nations arabes et les États-Unis » et « restaurer l’assurance et la confiance des Arabes » en l’Amérique), le volte-face dans l’offre du barrage d’Aswan aurait dû alerter le gouvernement britannique, et il aurait alors pu sauver beaucoup de choses s’il avait résisté à la « pression » dans le second cas.

Je ne peux me rappeler provocation plus calculée ou offensive envers un gouvernement dont « l’Occident » recherchait prétendument l’amitié. Un tel comportement par les gouvernements de Washington et de Londres n’est seulement devenu envisageable que depuis qu’ils sont devenus les esclaves du sionisme. Le retrait de l’offre par les américains et la façon dont cela fut accompli (son imitation par Londres se passe de commentaires), furent clairement le véritable début de la crise de guerre de 1956, mais la source originelle, la « pression », n’était pas « américaine ». « Certains hommes au Congrès craignaient la désapprobation sioniste », fit discrètement remarquer le New York Times à propos du retrait de l’offre à l’Égypte ; et c’était l’année des élections.

En l’espace d’une semaine, le président égyptien Nasser nationalisa le canal de Suez, et immédiatement l’air se chargea de rumeurs de guerre, comme en 1952-3 durant l’épisode des « docteurs juifs ». Dès ce moment, le président Nasser reçut le traitement du « méchant » ; c’est le signe sûr de l’imminence de la guerre. J’ai vu beaucoup de « méchants » fabriqués au cours de ma vie, et j’ai observé que cette propagande peut s’ouvrir et se fermer comme par un robinet, et infusée avec un effet toxique dans l’esprit du public:

Une fiole pleine du jus maudit de la jusquiame,

Et m’en versa dans le creux de l’oreille

La liqueur lépreuse…

[Hamlet I, V - William Shakespeare - NdT]

Ma petite enfance fut assombrie par la méchanceté du Mollah Fou (un leader musulman maintenant universellement oublié) et celle d’un respectable ancien Boer du nom de Paul Kruger. De tous les personnages de ce cabinet des horreurs, construit autour de moi alors

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que je grandissais, je vois maintenant que presque tous ne furent pas meilleurs ou pires que ceux qui les traitaient de méchants. Même avant que les rumeurs de guerre n’atteignent l’étape du « méchant », et longtemps avant la provocation sans précédent du 19 juillet (qui ne provoqua toujours pas d’action belliqueuse de la part de l’Égypte), le président Nasser avait été déclaré l’agresseur dans une guerre qui n’avait pas encore commencé. En mars, M. Ben Gourion déclara à Tel Aviv qu’une livraison rapide d’armes uniquement à Israël pourrait prévenir « une attaque par les États arabes dans les prochains mois » et ajouta que l’agresseur «serait le dictateur égyptien Nasser ». Le 13 avril, Sir Winston Churchill sortit d’une retraite d’un an pour dire devant un auditoire à la Primrose League que « la prudence et l’honneur » exigeaient l’assistance britannique d’Israël si elle était attaquée par l’Égypte. Sir Winston exprima son approbation implicite mais claire de l’attaque israélienne envers l’Égypte que les « activistes » en Israël réclamaient alors : « Si Israël est dissuadée d’utiliser la force vitale de sa race pour tenir en respect les Égyptiens jusqu’à ce que les Égyptiens aient appris à se servir des armes russes avec lesquelles il ont été approvisionnés et que les Égyptiens attaquent, cela deviendra non seulement une affaire de prudence mais une preuve d’honneur que de s’assurer qu’ils [Israël] ne soient pas les perdants en attendant ». Cela fut suivi en mai d’une attaque israélienne envers les troupes égyptiennes dans le territoire de Gaza, au cours de laquelle environ 150 hommes, femmes et enfants furent tués ou blessés. Néanmoins, le tollé à propos du « méchant » et de « l’agression égyptienne » enfla de plus belle en Occident.

L’état de servitude dans lequel l’Angleterre était tombée à cette période fut révélé par deux événements symboliques. En juin 1956, la « communauté anglo-juive » organisa un banquet au Guildhall pour commémorer « le trois centième anniversaire de la réinstallation des juifs dans les Îles britanniques » ; on exigea de l’époux de la jeune reine, le duc d’Édimbourg, qu’il apparaisse coiffé d’une calotte juive. En septembre, l’« Association Cromwell » organisa une cérémonie en l’honneur de la statue du régicide et boucher de Drogheda pour célébrer cette même fiction (selon laquelle il avait « rétabli » les juifs en Angleterre trois cents ans plus tôt). Dans son discours, le président de ce groupe, un certain M. Isaac Foot, recommenda que le jeune prince Charles, quand il accèderait au trône, prenne le nom d’« Oliver II », parce que « Nous ne voulons pas de Charles III93».

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Après la saisie du canal de Suez par le président Nasser, les cris de guerre venus d’Occident atteignirent une note élevée. La « nationalisation » en elle-même n’était pas assez surprenante ou choquante, en 1956, pour l’expliquer. L’Amérique avait accepté la saisie de gisements de pétrole appartenant à des étrangers, Mexico acceptant (comme le président Nasser avait accepté) de payer le prix normal pour en être propriétaire ; à l’échelon national, l’Amérique, par le Tennessee Valley Authority, foulait déjà ces sentiers battus de l’appauvrissement ; en Angleterre, le gouvernement socialiste avait nationalisé les chemins de fer et les mines de charbon. Un terrain légal ou moral valide pour une dénonciation virulente n’était pas facile à trouver, même s’il est vrai que des degrés de différence existaient entre l’acte du président Nasser et les nombreux précédents, et son acte était de toute évidence un acte de protestation contre la provocation, non un acte politique sensé.

En tous les cas, la seule réponse efficace, si son acte était intolérable, était de réoccuper le canal sur-le-champ, et cela ne fut pas fait. À la place, tous les oracles, comme s’ils lisaient un script préparé depuis longtemps, commencèrent à le surnommer « Hitler ». Le Premier ministre Ben Gourion commença par « dictateur », qui devint « dictateur fasciste », et le Premier ministre français (un certain M. Guy Mollet à l’époque) changea cela en « Hitler ». Après quoi, la campagne suivit la ligne de celle utilisée contre Staline en 1952-3. Dictateurfasciste dictateur-Hitler ; l’insinuation était claire ; le président Nasser devait être décrit, et puni s’il était puni, en ennemi des juifs.

Quand Sir Anthony Eden monta à nouveau à la Chambre des communes (9 août 1956) pour lutter avec ce monstre qui hantait ses rêves - « la question du Moyen-Orient » - le leader socialiste, M. Hugh Gaitskell, dit : « Tout cela est terriblement familier… C’est exactement la même chose que nous avons rencontrée avec Mussolini et Hitler avant la guerre ». Un autre orateur socialiste, M. Paget C.R. [Conseil de la Reine, abrégé C.R. après le nom ; avocat nommé par Sa Majesté - NdT] le piégea ainsi : « La technique de ce week-end est exactement ce que nous avons obtenu d’Hitler. Êtes-vous au courant des conséquences de ne pas répondre à la force par la force avant qu’il ne soit trop tard ? »

Les socialistes incitaient délibérément Sir Anthony à utiliser la force (ils le traitèrent d’« assassin » quand ils l’utilisa) par ces allusions sarcastiques à son passé politique. Il était l’homme qui avait démissionné en 1938 en protestation de la politique d’apaisement d’Hitler, et sa démission avait été immédiatement justifiée par l’invasion de l’Autriche par Hitler. C’était cela, la « force » - prévue

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depuis longtemps - et le M. Eden de 1938 avait eu raison. En 1956, le cas était différent, et aucune comparaison n’était possible. L’Égypte n’était pas une grande puissance militaire, mais une puissance très faible. L’Égypte n’avait pas été « apaisée » après le retrait britannique, mais soumise à des provocations par l’humiliation publique. L’Égypte n’était pas un agresseur avéré ; elle avait été la victime d’attaques et Israël avait déclaré qu’elle ferait la guerre à l’Égypte.

Donc, la comparaison avec « Hitler » était absurde, à moins qu’elle ne soit uniquement destinée à indiquer que les sionistes considéraient l’Égypte comme leur ennemi. Néanmoins, Sir Anthony Eden céda à cette invention (peut-être le souvenir de 1938 avait-il une emprise trop forte sur lui), car il fit allusion au président Nasser comme un pillard « fasciste dont l’appétit grandit à mesure qu’il mange », ce qui était exactement le langage que M. Churchill et lui avaient utilisé à juste titre à propos d’Hitler dix-huit ans plus tôt. Je dois ajouter que je ne retrouve pas ces mots exacts dans le texte de son discours, mais c’est la forme sous laquelle ils atteignirent « la foule » par le biais du New York Times et c’est cela qui importe, comme les Premiers ministres doivent le savoir. Pour le reste, Sir Anthony basa son attaque du président Nasser sur l’argument que le canal de Suez « est vital aux autres pays dans toutes les parties du monde… une question de vie ou de mort pour nous tous… le canal doit être administré de manière efficace et maintenu ouvert, comme il l’a toujours été par le passé, comme une voie navigable internationale libre et sûre pour les navires de toutes les nations…»

Mais le président Nasser n’avait pas fermé le canal, il l’avait juste nationalisé. Il était «ouvert» aux navires de toutes les nations, à une seule exception. En ces cinq mots [navires de toutes les nations] se trouvait le secret. Le seul pays auquel on refusait une liberté totale de passage était Israël, avec qui l’Égypte était toujours techniquement en guerre; l’Égypte avait stoppé des navires à destination d’Israël et les avait inspectés, à la recherche d’armes. C’était le seul cas d’ingérence ; par conséquent, Sir Anthony exposait seulement ce cas, et aucun cas britannique. Cependant, il conclut : « Mes amis, nous n’avons pas l’intention de chercher une solution par la force ».

Les semaines qui suivirent, alors qu’on cherchait « une solution » lors de différentes conférences à Londres et Washington, la presse informa les masses que « les Égyptiens » ne seraient pas capables de faire fonctionner le canal, et que le trafic s’arrêterait bientôt. En réalité, ils s’avérèrent capables de le faire marcher et la navigation continua sans obstacles, à une seule exception. Par claire insinuation, donc, le cas d’Israël était le seul sur lequel le gouvernement de Sir Anthony pouvait faire reposer sa protestation de plus en plus furieuse. Cela devint bientôt explicite. Le 22 août 1956, Mme Rose Halprin,

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présidente suppléante de l’Agence juive pour la Palestine, déclara au New York Times que « le seul argument légal que les puissances occidentales possèdent contre l’Égypte en termes de violation de la convention de 1888 est l’interdiction par l’Égypte du canal aux navires israéliens et les restrictions sur les navires à destination d’Israël».

La déclaration de Mme Halprin sur la position légale est correcte. Si toute la querelle reposait sur un point de loi, alors le seul argument qui pouvait être invoqué était celui d’Israël ; et cela ouvrirait tout le débat sur la légalité de la création d’Israël elle-même et de l’état de guerre permanent entre Israël et l’Égypte. Par conséquent, tout gouvernement qui se joignait à la tempête de protestations contre le président Nasser agissait en fait au nom d’Israël et d’Israël seule, et jugeait d’avance en faveur d’Israël toutes les questions légales.

Vers octobre, Sir Anthony Eden avait été plus loin en présumant d’une agression égyptienne. Je n’ai pas le texte de ce discours, mais la version distribuée par l’Associated Press - et donc reproduite dans des milliers de journaux du monde entier - dit : « Le Premier ministre Eden a prédit ce soir que le président Nasser attaquerait Israël prochainement s’il se sortait impunément de la saisie du canal de Suez. Sir Anthony a fait remarquer que la Grande-Bretagne irait au secours d’Israël avec des armes si nécessaire » (13 sept. 1956).

Ainsi, le Premier ministre britannique marchait-il sur un chemin glissant. En l’espace de six semaines, le thème de la « nécessité vitale » et de la « question de vie ou de mort » était devenue subalterne et le monde faisait face à une menace de guerre fondée sur quelque chose que le président égyptien ferait si quelque chose d’autre se produisait. À partir de là, on gava « la foule » avec des nouvelles d’attaque égyptienne imminente d’Israël (le thème de l’« interférence avec la navigation internationale » fut abandonné, comme il ne pouvait être maintenu) et avec le temps, cela prit un ton si définitif que beaucoup de lecteurs occasionnels, j’imagine, ont dû pensé que l’Égypte avait déjà attaqué Israël. Je donne un exemple parmi tant d’autres (de la Weekly Review de Londres, septembre 1956, quelques semaines avant l’attaque israélienne de l’Égypte) : « Nous pouvons êtres absolument certains que les Arabes, encouragés par la Russie, attaqueront Israël. Cela ne fait maintenant aucun doute, et cela devrait être à la base de nos calculs.»

En écrivant ce livre, j’ai été principalement mû par l’espoir de donner au lecteur futur, dans des temps je l’espère plus rationnels, une idée de la condition étonnante des publications officielles au cours des années 50. Il sera certainement incapable de comprendre les choses qui arrivèrent, à moins qu’il ne soit mis au courant de ce régime de désinformation prolongée et des extrémités sans bornes auxquelles il fut amené. La dernière déclaration citée eut lieu après

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des années d’attaques israéliennes répétées envers les différents voisins arabes et de condamnations répétées de ces actes par les Nations unies.

De la manière que j’ai résumée plus haut, le terrain fut préparé, durant les neuf premiers mois de l’année de l’élection présidentielle, pour les événements paroxystiques d’octobre. Des armes continuèrent à être importées en Israël depuis l’Occident. Après la saisie du canal de Suez, Sir Anthony Eden annonça que « toutes les livraisons d’armes en Égypte avaient été interrompues » ; le même mois (juillet), deux contretorpilleurs britanniques furent livrées en Israël. Tout au long du printemps et de l’été, la France - sous la « pression » américaine - fournit des chasseurs à réaction et d’autres armes à Israël. En septembre, le Canada, sur la même incitation, accepta d’envoyer des avions jets à Israël, le gouvernement d’Ottawa annonçant qu’il avait « consulté les États-Unis avant de prendre cette décision » (New York Times, 22 sept. 1956).

Pendant tout ce temps, la campagne pour l’élection présidentielle continuait. Les démocrates, impatients de reprendre la Maison Blanche, surpassaient toutes les performances passées dans leurs enchères pour « le vote juif » (le maire de New York exigea qu’Israël reçoive des armes « en cadeau ») ; les républicains sortants étaient légèrement plus réservés. Cependant, quand les conventions rivales pour la désignation des candidats eurent lieu (la républicaine à San Francisco, la démocrate à Chicago, toutes les deux en août), il n’y avait guère de différence entre les soumissions faites par chaque parti (si bien que le Jerusalem Post aurait pu répéter, et l’a peut-être vraiment fait, son affirmation de 1952, comme quoi pour l’électeur juif de là-bas, il n’y avait « guère de différence » entre les candidats présidentiels).

Le seul passage ayant une quelconque signification majeure dans les « programmes de politique étrangère » adoptés par les deux partis était relié, dans les deux cas, à Israël ; les autres déclarations sur la politique étrangère étaient d’une grande platitude. Les engagements envers Israël étaient dans les deux cas spécifiques.

Le programme du parti républicain, sur lequel le président Eisenhower fut à l’unanimité désigné candidat, disait : « Nous considérons la préservation d’Israël comme un principe important de la politique étrangère américaine. Nous sommes déterminés à ce que l’intégrité d’un État juif indépendant soit maintenue. Nous soutiendrons l’indépendance d’Israël contre l’agression armée ».

Le programme du parti démocrate disait : « Le parti démocrate fera en sorte de redresser le dangereux déséquilibre des armes dans la région créé par la livraison d’armes communistes à l’Égypte, en vendant ou en fournissant des armes de défense à Israël, et nous

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prendrons les mesures, incluant des garanties de sécurité, qui pourraient être requises pour prévenir l’agression et la guerre dans la région. (La phrase « dangereux déséquilibre des armes » reflétait l’invention propagandiste qu’Israël était « sans défense » et que les pays arabes étaient forts ; la vérité, établie un peu plus tôt par M. Hanson Baldwin, était qu’Israël était plus forte en armes que la totalité des sept pays arabes réunis).

Ces deux déclarations de politique donnaient l’image d’un monde sous l’emprise sioniste, et complétaient les déclarations faites alors par le gouvernement britannique. Elles n’avaient aucun rapport avec les intérêts américains mais reflétaient simplement le contrôle sioniste de la machine électorale, ou la croyance inébranlable en ce contrôle de la part des directeurs de parti. (À cette occasion, des événements eurent lieu pour justifier cette croyance ; le parti démocrate, le plus offrant, l’emporta au Congrès, bien que le « républicain » nominal fût réélu président).

Le seul autre événement d’importance dans les deux conventions pourrait sembler avoir peu de rapport avec le thème de ce livre, mais par la suite pourrait se révéler avoir une signification directe : la renomination de M. Richard Nixon en tant que candidat à la viceprésidence du président Eisenhower (et dans les faits, en tant que vice-président). L’état de santé de M. Eisenhower rendait le viceprésident plus important que de coutume, et la possibilité que M. Nixon puisse hériter de la présidence entre 1956 et 1960 était manifestement vue comme un danger majeur par les puissances qui gouvernent l’Amérique actuelle, si bien qu’un effort suprême fut accompli pour empêcher sa nomination. Cela n’avait rien de remarquable, pour ce siècle ; ce qui fut remarquable est que la tentative échoua. À un moment donné, il est évident que des hommes surgissent, et brisent l’esclavage dans lequel est maintenue la vie politique américaine et britannique, si bien que la personne de M. Richard Nixon acquiert une importance symbolique à notre époque, même si, s’il devenait président, il pourrait se trouver incapable de briser les chaînes.

La raison de cette forte hostilité envers M. Nixon est que ce n’est pas un « internationaliste ». Loin s’en faut, il joua un rôle décisif dans le dévoilement et la condamnation de M. Alger Hiss, l’agent soviétique de l’administration de M. Roosevelt. C’est la vraie raison pour laquelle il a toujours eu depuis, de façon uniforme, mauvaise presse - non seulement en Amérique mais partout ailleurs dans le monde occidental. Avec ce mauvais point pour lui, on le considère comme un homme qui, une fois à la fonction principale, pourrait en théorie se rebeller contre les contraintes auxquelles les présidents américains et les Premiers ministres britanniques, presque sans exception, se sont

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soumis ces cinquante dernières années et que les vice-présidents subissent automatiquement94.

Ainsi, une campagne d’une grande force et ingéniosité commençat- elle afin d’empêcher sa nomination. Un membre de la propre maison (et du parti nominal) du président fut libéré de ses obligations pour plusieurs semaines afin de mener une offensive « Arrêter Nixon » à l’échelle nationale, avec des réunions de commission, des affiches et des meetings. Cela n’eut aucun effet sur le public, auprès duquel M. Nixon semble être populaire. Alors, pour sa déconvenue particulière, de nouvelles tactiques furent introduites à la convention du parti rival démocrate. Au lieu que le candidat désigné (M. Adlai Stevenson) choisisse son propre « candidat à la vice-présidence » comme lors des occasions précédentes, le choix d’un « candidat vice-présidentiel » fut ouvert aux votes et parmi les différents concurrents, le sénateur Estes Kefauver (un sioniste exceptionnellement zélé) reçut la nomination de candidat vice-présidentiel.

Le but de la manoeuvre était de forcer la convention du parti républicain à suivre cette « procédure démocrate » et aussi à soumettre le choix du candidat vice-présidentiel au vote. C’est ce qui arriva et M. Nixon, comme M. Eisenhower, reçut un vote unanime. Cet événement, et l’attitude de M. Nixon durant les maladies du président Eisenhower, rendit ses chances de devenir lui-même président un jour beaucoup plus grandes qu’elles ne l’avaient jamais été estimées auparavant. Son histoire jusqu’à aujourd’hui en fait un personnage prometteur (tel que M. Eden le paraissait en 1938), et au poste suprême, il pourrait théoriquement produire un effet thérapeutique sur la politique américaine et les relations extérieures.

Après les nominations, l’Amérique resta là à soupirer de soulagement, car la réélection de M. Eisenhower était tenue pour sûre et il avait reçu une publicité enthousiaste dans la presse, comme « l’homme qui nous préserva de la guerre ». L’expression rappelait les expressions similaires utilisées à propos de M. Woodrow Wilson en 1916 et M. Roosevelt en 1940, mais en 1956, un répit de trois ans était considéré comme une bénédiction et on lui fut reconnaissant pour cette période de « paix », pour ce qu’elle valait.

Je fus témoin de cette élection, comme de celle de 1952, et réalisai qu’en fait la guerre, localisée ou générale, était proche. Je sentais qu’un répit, au moins, serait obtenu si le jour de l’élection (6 nov.) se passait sans éruption au Moyen-Orient - une éruption qui se préparait depuis des mois (une fois que les élections sont terminées, le pouvoir

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des sionistes à exercer la pression diminue, pour un petit moment). Je me rappelle avoir dit à un ami américain le 20 octobre que si les dixsept jours prochains pouvaient se passer sans guerre, elle pourrait être épargnée au monde pour trois ou quatre années de plus95.

Le 29 octobre - huit jours avant les élections - la guerre arriva, par prédétermination évidente du moment considéré comme étant le plus favorable pour provoquer la consternation à Washington et Londres. Dès ce moment, les événements balayèrent tout sur une vague de forces brutes libérées dans la nature, et c’est seulement bien plus tard que l’humanité sera capable de voir ce qui a été détruit et ce qui a survécu. Pour la Grande-Bretagne et la famille des nations d’outre-mer qui émergé de cette dernière, ce fut presque la ruine, la fin prévisible de l’implication dans le sionisme.

Le 29 octobre 1956, le gouvernement israélien annonça qu’il avait commencé une invasion généralisée de l’Égypte et que ses troupes s’étaient « avancées de 75 miles [120 km - NdT] à l’intérieur de la péninsule égyptienne du Sinaï96».

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La nouvelle, qui arriva après la longue série d’attaque précédentes envers les Arabes et leur « condamnation » répétée par les Nations unies, envoya un choc, une onde de répugnance dans le monde entier. À ce moment précis, les Hongrois étaient en train de combattre et de gagner la guerre de leur peuple contre la révolution communiste. Les deux forces destructrices libérées par la Russie en octobre 1917 se retrouvaient auto-condamnées par des actes d’une égale brutalité. Elles étaient en train de s’auto-détruire ; il n’y avait aucun besoin de les détruire. À cette période, d’importantes forces contraires issues de la réprobation universelle furent libérées, qui auraient été trop puissantes pour ces deux forces destructrices. Pas même la « pression sioniste » à New York ne pouvait faire passer cet acte pour une « agression égyptienne » ou persuader les masses de l’accepter.

C’était un cadeau du ciel, libérant « l’Occident » de ses deux dilemmes. Il avait juste besoin de se mettre à l’écart et, pour une fois, de laisser « l’opinion mondiale » faire le travail ; car en cette occasion, il y avait bien une opinion mondiale, générée par des actes qui ne pouvaient être cachés, déguisés ou dénaturés par « la presse ».

En vingt-quatre heures, l’occasion en or fut rejetée. Les gouvernements britannique et français annoncèrent qu’ils envahiraient la région du canal de Suez « à moins que les troupes israéliennes et égyptiennes n’acceptent d’arrêter les combats et ne s’éloignent à dix miles [quinze km - NdT] du canal dans les douze heures ». Comme cela aurait laissé les troupes israéliennes presque cent miles [centcinquante km - NdT] à l’intérieur du territoire égyptien, la demande n’était de toute évidence pas destinée à être acceptée par l’Égypte. Làdessus, les armées de l’air britannique et française débutèrent un bombardement intensif des terrains d’aviation égyptiens et d’autres cibles, et en détruisant la force aérienne de l’Égypte, offrirent une victoire incontestée à l’envahisseur.

Le futur lecteur aura du mal à imaginer les sentiments d’un Anglais dans mon genre, qui entendit la nouvelle en Amérique. La

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honte n’est pas un mot assez fort, mais comme c’est le seul mot, je l’utilise pour exprimer quelque chose que je ressentis encore plus fort qu’à l’époque même de Munich, quand je démissionnai du Times en guise de protestation - la seule que je pouvais faire (une protestation stupide, je l’estime maintenant). Je me rappellerai toujours l’impartialité des Américains à ce moment-là. Incrédules, choqués et perplexes, aucun parmi ceux que je rencontrai ne céda à la jubilation face à une déconvenue britannique - jubilation instinctive, bien qu’irrationnelle, chez beaucoup d’Américains. Quelques-un d’entre eux réalisaient que la politique américaine, avec ses constants revirements sous « la pression », avait principalement causé ce dénouement calamiteux, et partageaient mon sentiment de honte. C’étaient ceux qui comprenaient que la honte était celle de tout « l’Occident », dans sa servilité, et non de l’Angleterre ou de l’Amérique en particulier.

Cependant à ce moment-là, la responsabilité en tant que telle, distincte de la honte, incombait à la Grande-Bretagne. Les conséquences de cet acte vont si loin dans l’avenir qu’on ne peut les estimer actuellement, mais une chose sera toujours claire : l’occasion glorieuse offerte par les événements simultanés au Sinaï et en Hongrie fut gâchée, apparemment par une suite d’erreurs de calculs sans précédent, je le pense, dans l’Histoire.

Mon but ici est de montrer cela uniquement comme un pari politique (assurément, on ne peut le considérer comme un acte de diplomatie) ; c’était comme l’acte d’un homme qui miserait toute sa fortune sur un cheval déjà retiré de la course. Par aucun retournement inattendu, cet acte n’aurait pu être bénéfique à l’Angleterre ou à la France.

Des trois parties concernées, Israël n’avait rien à perdre et beaucoup à gagner : la réprobation instantanée du monde fut déviée d’Israël quand l’Angleterre et la France accoururent pour arracher la cape de l’agresseur et gagner sa guerre ; on laissa Israël au coeur du territoire égyptien, acclamant sa « conquête ». La France n’avait pas plus à perdre, malheureusement, que la dame dans la chanson de soldat qui « avait encore oublié son nom » : par sa révolution, la France restait la terre du fiasco récurrent, à jamais incapable de se relever de l’abattement spirituel où elle se trouvait. Pendant 160 ans, elle essaya toutes les formes de gouvernement humainement imaginables et ne trouva de revigoration et de nouvelle assurance dans aucune. Ses Premiers ministres changeaient si souvent que les masses connaissaient rarement leurs noms ; personnages indéfinis, ils semblaient indifférenciables même dans leur apparence, et le politicien français avait acquis une tradition de vénalité ; un comique américain dit un jour qu’il allait à Londres pour voir la relève de la garde et à Paris pour voir la relève du gouvernement. Un pays rendu incapable,

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par une série de gouvernements corrompus, de résister à l’envahisseur allemand sur son propre sol en 1940, envahit le sol égyptien en 1956 au service d’Israël. Mais ce n’était qu’un épisode dans la triste histoire de la France depuis 1789, et cela ne pouvait guère affecter son avenir.

Le cas était différent pour l’Angleterre : un exemple, un nom illustre et une tradition de relations honorables autant en période difficile qu’en période faste. L’Angleterre avait son âme à perdre, en telle compagnie, et aucun monde à gagner. L’Angleterre avait fait preuve de sagesse en appliquant les leçons de l’Histoire. Elle n’avait pas tenté de pétrifier un empire et de parer les vagues du changement à coups de baïonnettes. Elle avait accepté l’inévitabilité du changement et chevauché ces vagues avec succès, transformant successivement son Empire de colonies, d’abord en un Commonwealth de nations et de colonies indépendantes d’outre-mer, et ensuite, alors que de plus en plus de colonies parvenaient à l’autonomie, en une grande famille de peuples, unie sans aucune contrainte mais par des liens intangibles qui, comme le couronnement de la jeune reine Elizabeth le montra en 1953, n’étaient pas plus faibles qu’auparavant, et peut-être même encore plus forts. Le fait d’avoir évité toute organisation rigide basée sur la force, et d’avoir toujours laissé la porte ouverte à de nouvelles formes de relation entre ces peuples associés, faisaient de la famille des nations issues de « l’Angleterre » et de « l’empire britannique » une expérience unique dans l’histoire humaine, en 1956, et une expérience porteuse de promesses infinies, si elle continuait sur ce même chemin97. Le résultat remarquable de l’apparente faiblesse de ce processus élastique était la force qu’il générait sous la pression ; il pliait sans s’effondrer, sous des tensions qui auraient fait éclaté une organisation rigide fondée sur des règles dogmatiques, puis il se retendait une fois la tension passée.

Donc, l’Angleterre avait tous les accomplissement de l’histoire britannique à mettre en péril ou à perdre, en 1956, par toute action qui dans les faits ou même en apparence, renverserait la politique - ou méthode - qui lui avait acquis une si grande réputation et avait produit, tout compte fait, de bons résultats matériels.

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L’action du gouvernement britannique du 30 octobre 1956 doit être considérée sous cet angle.

Si le canal de Suez était « vital » pour lui, pourquoi s’était-il donc retiré ? Si l’amitié de l’Égypte était vitale après le retrait, pourquoi cet affront calculé en juillet ? Si les navires britanniques utilisaient librement le canal, pourquoi prétendre qu’il n’était pas « ouvert » et que « la liberté et la sécurité de la navigation internationale » était mises en danger ? Si un quelconque intérêt britannique vital était en jeu, pourquoi a-t-il attendu qu’Israël attaque l’Égypte, pour alors attaquer l’Égypte ?

On peut retourner et examiner la question sous tous les angles, et la même réponse ressort toujours. Cette action n’a pu être menée pour les intérêts de la Grande-Bretagne ou de la France ; le moment choisi est compromettant. Cela ne serait jamais arrivé si Israël n’avait pas existé ; par conséquent, l’humiliation subie par l’Angleterre (et la France, si le lecteur veut bien) se trouvait dans cette cause. L’implication commencée par M. Balfour cinquante ans plus tôt produisit sa conséquence logique, et par cet acte la continuation de cette implication fut assurée, au moment où la libération était enfin à portée de main.

Si c’est un quelconque calcul rationnel d’intérêt national qui suscita le plus téméraire des raids de Jameson, celui-ci surgira un jour dans la mémoire des hommes concernés ; personnellement, je doute qu’il puisse jamais être justifié. À cet instant, il peut seulement être examiné à la lumière d’un enchaînement d’événements sur quatre semaines, qui ont déjà témoigné de l’immense fiasco.

L’entreprise fut manifestement préparée longtemps à l’avance entre au moins deux des parties concernées, Israël et la France - la preuve de cela apparut bientôt98.

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En Angleterre, le gouvernement (jusqu’au moment de la conclusion de ce livre) a refusé la demande d’enquête sur l’accusation de complicité, qui ne peut être établie dans le cas britannique (en tant que distinct du cas français). Il semble qu’il y ait une possibilité que l’action britannique ait été soudaine, décidée sous l’impulsion d’un moment jugé favorable. En ce cas, ce fut une monumentale erreur de calcul, car quand « l’ultimatum » britannique et français fut lancé, les États-Unis avaient déjà convoqué une réunion d’urgence du Conseil de sécurité de l’ONU et présenté une résolution condamnant l’attaque israélienne et exigeant que les Israéliens se retirent du territoire égyptien (29 oct.).

Ainsi, le seul effet de l’attaque britannique et française fut que la réprobation mondiale fut transférée d’Israël à ces derniers (les Britanniques et les Français), et à la date du 7 novembre (après une seconde résolution appelant Israël à se retirer), une majorité écrasante à l’Assemblée générale avait dûment déporté le poids de sa condamnation sur « la Grande-Bretagne et la France », Israël apparaissant alors à la troisième place parmi les parties auxquelles on avait demandé de se retirer99.

À ce moment-là, le fiasco militaire était aussi clair que le fiasco politique ; les oreilles anglaises avaient dû écouter pendant presque cinq jours les nouvelles des bombardements britanniques des Égyptiens, le canal de Suez était bloqué par des navires engloutis, le président Nasser était plus populaire dans le monde arabe qu’il ne l’avait jamais été, et le gouvernement britannique reculait progressivement, passant d’« aucun retrait » à un « retrait conditionnel », pour en arriver à un « retrait inconditionnel ».

Le président Eisenhower et son administration utilisèrent au mieux ces événements. Ce qui se profilait était de toute évidence connu de Washington (comme l’attaque de Pearl Harbour avait été connue à l’avance). On avait dit aux résidents américains de quitter la

 

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zone de danger quelques jours avant l’attaque, et dans les deux jours qui la précédèrent, le président Eisenhower mit en garde deux fois M. Ben Gourion, une fois en des termes « urgents » et ensuite en des termes « graves » ; la seule réponse qu’il reçut fut un message radio qui lui fut délivré durant un voyage en avion de Floride jusqu’en Virginie, lui disant que M. Ben Gourion avait lancé l’attaque.

Toutefois, le gouvernement britannique n’informa pas officiellement le président (ou même les gouvernements des dominions) de son intention, et M. Eisenhower put présenter à son peuple un visage empreint d’une souffrance patiente quand il apparut à la télévision, en prononçant ces paroles : « Nous croyons qu’elle » (l’attaque) « a été faite par erreur, car nous n’acceptons pas l’utilisation de la force comme moyen sage et approprié pour le règlement des conflits internationaux ». Ce fut une déclaration irréprochable, dans un climat de culpabilité (l’approvisionnement incité par les Américains d’armes françaises, britanniques et canadiennes à Israël pendant tout l’été). Si le gouvernement britannique comptait sur la « pression sioniste » à Washington, elle fut déçue cette fois là. Il y a toujours une marge d’erreur dans ces affaires, et M. Eisenhower était assuré d’être élu ; en tous les cas, l’opportunité de transférer sa colère sur la Grande-Bretagne lui épargna le besoin de l’apaiser plus encore sur Israël (qui, dans cette affaire, avait obtenu ce qu’elle voulait). Avoir des paroles dures envers l’Angleterre, qui plus est, était populaire en Amérique depuis la Boston Tea Party ; peut-on imaginer que le gouvernement britannique ne réalisât pas cela ?

L’acte britannique semble s’expliquer uniquement dans le contexte de l’entière illusion sioniste. Si tant est que la chose devait se faire, le seul espoir reposait sur une opération rapide et extrêmement efficace qui aurait fait gagné la possession d’un canal intact et aurait confronté le monde à quelque chose d’accompli. L’entreprise britannique fut lente dès le départ, et très vite montra tous les signes du doute. Après le fiasco, le Times (16 nov.) rapporta depuis la base britannique à Chypre : « La décision du gouvernement britannique d’intervenir en Égypte a été prise sans l’avis de pratiquement tous ses hauts représentants diplomatiques dans la région. Elle été maintenue malgré les avertissements de la plupart d’entre eux à propos de ses conséquences probables sur l’avenir des relations britanniques avec les nations arabes… Quand les détails de l’ultimatum britannique lancé au Caire et la décision d’intervenir militairement contre l’Égypte ont été connus pour la première fois dans les ambassades et les légations britanniques des pays arabes, les réactions chez presque chacune d’entre elles sont allées de la franche incrédulité à des discussions sur la potentialité que cela soit un désastre… Beaucoup sont devenus incrédules ou atterrés quand la forme de cette action directe a semblé associer la politique britannique à celle d’Israël et de

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la France » (ce passage me rappela de façon frappante le sentiment dont je fus le témoin dans les « ambassades et les légations britanniques » de toute l’Europe à l’époque de Munich).

Voilà pour la décision politique ; ensuite, venait son exécution militaire. Le Times (17 nov.) rapporta que parmi le commandants militaires à Chypre, « Il y avait un sentiment quasiment unanime que si cela se faisait, il vaudrait mieux le faire vite. L’incapacité à leur permettre de terminer le travail a produit un sentiment de frustration et de confusion parmi de nombreux officiers supérieurs ici, tout comme parmi nombre de leurs subalternes ». L’éminent écrivain militaire américain, M. Hanson Baldwin, examinant par la suite « A Confused Invasion » [Une Invasion Confuse - NdT] qui allait « probablement devenir une étude de cas célèbre au sein des collèges d’état-major militaire du monde entier », dit que sous la direction confuse de Londres, « les multiples objectifs politiques, psychologiques et militaires devinrent inextricablement confus ; le résultat fut qu’il n’y avait aucun but défini, ou en tout cas aucun objectif que la puissance militaire pût accomplir, étant donné les limitations qui y avaient été imposées ».

Il devint bientôt apparent qu’en fait, quelque chose retardait et dissuadait les gouvernements britannique et français de mener à bien cette entreprise. Pour les Français, cela importait peu, pour les raisons données précédemment ; pour les Britanniques, la réputation, l’honneur et la promesse de prospérité, la cohésion de la grande famille britannique étaient tous en jeu. Déjà, dans le stress des ces jours-là, le Premier ministre canadien avait averti que de telles actions pourraient mener à la dissolution du Commonwealth. Aux Nations unies, la Grande-Bretagne se tenait au pilori avec Israël et la France, une triste vision en vérité. Malgré des votes massivement défavorables, seules l’Australie et la Nouvelle-Zélande restèrent à ses côtés, peut-être plus par fidélité acharnée que par conviction.

Qu’est-ce qui fit retarder cette entreprise hasardeuse - annoncée de façon si orgueilleuse - jusqu’au point où elle tomba à l’eau ? La « protestation énergique et vigoureuse » du président Eisenhower et la résolution des Nations unies provoquèrent sans doute une première remise en cause à Londres. Puis il y eut la coïncidence atroce des événements. Dès que les Britanniques et les Français commencèrent à bombarder les Égyptiens, les Moscovites retournèrent en Hongrie et commencèrent à massacrer les Hongrois. Ensuite, aux Nations unies, les porte-paroles de l’Est et de l’Ouest se mirent à s’accuser les uns les autres en criant : « Vous mêmes » ; pendant que les avions britanniques et français bombardaient Port-Saïd, les délégués britanniques et français accusaient les Soviétiques de sauvagerie inhumaine ; pendant que les chars soviétiques massacraient les

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Magyars, les délégués soviétiques accusaient les Britanniques et les Français de pure agression. Ces échanges commençaient à prendre le ton de la malhonnêteté professionnelle des vendeurs dans les bazars levantins.

Le tableau prit alors des contours cauchemardesques. Sir Anthony Eden, le jeune homme prometteur lors de sa démission en 1938, reçut la démission de M. Anthony Nutting, le jeune homme prometteur de l’année 1956 - qui en tant que secrétaire d’État aux Affaires étrangères « avait fortement déconseillé l’intervention britannique en Égypte » - et celles d’autres collègues. Pour rétablir sa position, il eut recours à Sir Winston Churchill, qui proclama : « Israël, sous la plus grave des provocations, s’est embrasée contre l’Égypte… Je ne doute pas que nous pourrons prochainement mener notre barque vers une conclusion juste et victorieuse. Nous avons l’intention de rétablir la paix et l’ordre au Moyen-Orient et je suis convaincu que nous atteindrons notre but. La paix mondiale, le Moyen-Orient et notre intérêt national profiteront sans conteste à long terme de l’action déterminée du gouvernement ».

Il incombe à l’avenir de vérifier cette déclaration, qui est peut-être l’une des dernières de Sir Winston. L’acte britannique possède des traits fortement churchilliens, et son successeur était si intimement associé à lui que, dans tous les cas, il est peu probable qu’elle eût été menée sans l’approbation de Sir Winston. Au même moment, le vétéran [Churchill - NdT] publia le second volume de son Histoire des Peuples de Langue Anglaise, et le New York Times commenta : « L’auteur est fier du fait que sa petite île, « le petit royaume en mer du Nord", bien que ne comptant au début de ce volume que trois millions d’habitants, ait civilisé trois continents et éduqué la moitié du monde». Seul le temps montrera si l’attaque britannique de l’Égypte était dans cette tradition civilisatrice et éducatrice, ou si elle continuera à discréditer l’Angleterre.

C’est alors que le plus gros choc résultant de l’action du gouvernement britannique se produisit. Le Premier ministre soviétique Boulganine, dans des notes adressées à Sir Anthony Eden et au Premier ministre français, les menaça clairement d’attaque nucléaire et à la roquette s’ils ne voulaient pas « arrêter l’agression, arrêter le carnage » (le carnage continuait à Budapest et le flot des Hongrois en fuite qui traversaient la frontière hospitalière autrichienne atteignait environ cent mille âmes ; à Budapest, un autre des hommes du Bela Kun de 1919, M. Ference Münnich, devint l’« homme-clé » de Moscou succédant à Rakosi et Gerö, et commença la nouvelle terreur). Qui plus est, M. Boulganine, dans une lettre au président Eisenhower, proposa une attaque commune américano-soviétique, « dans les prochaines heures », de la Grande-Bretagne et de la France, une

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proposition que la Maison Blanche qualifia simplement d’« impensable » dans une déclaration à la presse.

Existe-t-il quelque chose d’« impensable » à notre époque ? L’alliance Hitler-Staline de 1939 (un dénouement évident, prédit par l’auteur et par d’autres) fut décrite aux masses comme quelque chose d’« impensable » jusqu’à ce qu’elle soit conclue et que la Seconde Guerre débute. Le New York Times à cette période cita « un haut diplomate américain à la longue expérience dans le monde arabe » comme approuvant implicitement cette proposition [celle de Boulganine - NdT] : « Notre rejet de l’offre russe comme « impensable", sans proposer d’y réfléchir dans le cadre des Nations unies, est interprété ici » (il se trouvait en Jordanie) « comme signifiant que malgré tout ce que nous pourrons dire, nous nous rangerons toujours du côté de l’Occident et d’Israël dans les moments cruciaux ».

Nul doute que la proposition d’attaque nucléaire commune américano-soviétique envers l’Angleterre était impensable à cette époque, mais en réalité les deux pays agirent ensemble contre l’Angleterre de manières différentes, qui se combinèrent pour générer une pression énorme des deux côtés. Sir Anthony Eden s’était engagé sur des rapides torrentiels dans un fragile canoë. Il y a en Amérique un instinct matricide constant et latent envers l’Europe en général et l’Angleterre en particulier (on ne peut l’expliquer, mais on doit toujours le prendre en compte), instinct qui est le plus facilement activé par l’accusation de « colonialisme ». Le fait que l’Amérique soit la plus grande puissance coloniale au monde - car je ne vois aucune différence valable entre l’expansion outre-mer et l’expansion outre-terre100 - n’y change rien ; il s’agit d’une impulsion irrationnelle qui a toujours été prise en compte dans l’estimation des résultats de toute action envisagée qui impliquerait « l’opinion américaine ».

Cependant, l’ « opinion », de nos jours, est un produit manufacturé et peut être générée sous n’importe quelle forme voulue. Ce qui est beaucoup plus important et qui n’aurait pas dû être ignoré, c’est que le président Eisenhower, de manière tout à fait évidente, a été sélectionné, désigné et dans les faits élu par le groupe « internationaliste » qui domina les présidents Wilson, Roosevelt et

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Truman, et que la politique américaine, sous son administration, a toujours soutenu la révolution et pris une nature anti-britannique dans les moments de crise culminants. L’ultime ambition « internationaliste » est le projet de gouvernement mondial, qui doit être réalisé par le biais des forces convergentes et destructrices du communisme révolutionnaire et du sionisme révolutionnaire, et il est essentiel à cette ambition que les deux grands pays anglophones de chaque côté de l’Atlantique restent divisés, car l’empire ne pourra s’accomplir que par leur division. Cette ambition domina la Seconde Guerre.

Le président Eisenhower émergea d’abord comme le troisième personnage du groupe Roosevelt-Marshall - Eisenhower. On a montré plus tôt la nature anti-britannique des propositions du général Marshall dans les années de guerre ; il était en fait le grand adversaire de M. Churchill et l’homme responsable du fait que - tel que l’histoire britannique officielle de la guerre le rapportait en 1956 - malgré la renommée mondiale et la redoutable autorité de M. Churchill, il se montra, en vérité, incapable de formuler une seule décision stratégique majeure durant cette guerre - à l’issue de laquelle la politique Roosevelt-Marshall - Eisenhower doit être jugée. Durant les palabres finales, à Yalta, le voeu dominant fut de porter atteinte à la Grande- Bretagne, comme le montrent les journaux de Yalta101.

Le général Eisenhower, en tant que commandant en Europe, donna l’ordre militaire dont le résultat fut, dans les faits, la cession de la moitié de l’Europe à la révolution.

Dans ce contexte, le gouvernement britannique n’aurait pu compter sur le soutien du président Eisenhower ; la préhistoire de tout cela est trop lourde. Il fut l’exécuteur testamentaire de la politique Roosevelt-Marshall durant la guerre, et sept ans après la fin de celleci, il fut manifestement choisi par de puissants partisans, en opposition au sénateur Taft, comme l’homme qui poursuivrait plus avant la politique « internationaliste ». Ce qui était inattendu, et ne peut être justifié, est jusqu’où il alla - humiliant publiquement la Grande-Bretagne cette fois-là, en imposant le retrait « inconditionnel » dans les circonstances les plus méprisables, en ostracisant quasiment l’ambassadeur britannique à Washington, et généralement en affichant une rancoeur qui rappela celle du président Roosevelt à Yalta.

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Cet étalage d’aversion (tout le pays put voir son air réprobateur à la télévision) n’avait aucun fondement moral. La « pression » sur la Grande-Bretagne de se retirer du canal, et la « pression » suivante sur la Grande-Bretagne de se joindre à l’Amérique dans l’insulte provocatrice envers l’Égypte - qui fut le véritable début de la crise de guerre de 1956 - émanèrent de la Maison Blanche.

De plus, cela arriva au moment du massacre en Hongrie, et à part le fait de dire que sa sympathie allait aux victimes, le président américain et son administration ne réagirent pas dans cette affaire beaucoup plus grave. En cela, une fois encore, il était en accord avec les actes précédents : l’abandon de la promesse de « répudier Yalta », après son élection en 1952, et l’ordre aux armées alliées de faire halte à l’est de Berlin en 1945. La conséquence de tout cela fut la continuation de ce « soutien à la révolution » qui fut le principe dominant de la politique nationale américaine durant deux guerres.

Une grande leçon fut apprise grâce aux événements d’octobre et novembre 1956. Ils montrèrent que, si elle est suffisamment choquée, quelque chose comme « l’opinion mondiale » peut s’exprimer par les débats contradictoires de la société de conférences connue sous le nom de « Nations unies » à New York. La démonstration d’aversion fut écrasante dans les deux cas, celui de l’attaque de l’Égypte et celui du massacre soviétique en Hongrie. De plus, ils montrèrent que comme instrument susceptible de donner du poids à toute condamnation morale de ce genre, les Nations unies sont totalement impuissantes. Dans le cas le plus grave, celui de la Hongrie, elles ne purent absolument rien faire, parce que les Soviétiques occupaient les lieux et les États-Unis ne réagirent pas. Dans l’autre cas, celui de l’Égypte, un résultat immédiat ne fut produit que parce que ces deux pays [les États-Unis et l’URSS] s’unirent contre la Grande-Bretagne ; l’un avec « des quasi-mesures de guerre » (le refus des fournitures de pétrole) et l’autre directement avec des menaces de guerre.

En fait, le retrait britannique de Suez s’effectua avec la collaboration américano-soviétique, et tant que « les internationalistes » seront en mesure de contrôler la machine à sélection - et à élection - américaine, un grand danger continuera à peser sur le monde. Et le pacte Eisenhower-Boulganine n’est pas en soi plus « impensable », dans les circonstances de ce siècle, que ne le fut le pacte Hitler-Staline en 1939 ; en tous les cas, l’intention déclarée (écraser le « communisme ») est la même dans les deux cas.

Si le gouvernement britannique avait confiance en la « pression sioniste » à Washington (et cela avait abouti au retrait britannique de Palestine et à la création d’Israël en 1947-8), ce fut une autre erreur de calcul à ce moment particulier. Il ne tint pas compte de l’effet de choc de l’attaque israélienne et de l’effet de choc plus important de l’attaque

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britannique et française, qui fit que les yeux du monde se tournèrent principalement sur la Grande-Bretagne et conforta beaucoup le président Eisenhower dans sa décision d’adopter l’attitude morale.

Donc, le gouvernement britannique se retrouva pris entre des menaces d’attaque soviétique d’un côté, et de l’autre une hostilité qui apparemment le surprit, de la part de la Maison Blanche. La « nécessité vitale » fut bloquée, et les fournitures en pétrole de la Grande-Bretagne furent bloquées avec elle. Apparemment, il se tourna en toute confiance vers le gouvernement américain pour arranger les choses, et apprit qu’il ne pouvait espérer aucun pétrole américain tant qu’il ne « sortait » pas ; à ce moment-là, tout le poids de l’affaire retomba sur la Grande-Bretagne. Les représentants britanniques à Washington furent reçus froidement et découvrirent qu’on refusait de débattre de tout sujet d’importance avec eux ; on leur fit comprendre qu’ils pourraient revenir s’ils le souhaitaient, dans leur quête de pétrole, quand la Grande-Bretagne serait « sortie ». Le président américain, durant ces jours-là, alla beaucoup plus loin que nécessaire dans l’humiliation publique du gouvernement britannique, et on doit en chercher la raison dans le sentiment anti-britannique révélé dans les actes et paroles avérés de son protecteur, le président Roosevelt. Toute l’histoire des machinations gouvernementales américaines dans cette affaire, durant sa présidence, le privait de motifs pour une attitude de franche indignation.

Malheureusement, les humiliation britanniques étaient méritées. L’attaque de l’Égypte fut désastreuse sur tous les points majeurs : dans son apparence évidente de complicité avec Israël, dans son exécution au moment exact de la défaite soviétique en Hongrie, et dans son indécision et son inefficacité, une fois débutée. Sir Anthony Eden, miné par la pression et politiquement ruiné, se retira en Jamaïque pour récupérer. Le « retrait inconditionnel » (des Britanniques et des Français, non de l’agresseur originel, Israël) commença. Une « force internationale » rassemblée à la hâte par les Nations unies apparut sur le canal de Suez102 et attendit là, se demandant ce qu’elle était censée faire. La popularité du président Nasser monta en flèche dans le monde arabe ; le canal resta bloqué ; l’Égypte déclara qu’elle ne céderait pas un pouce de territoire égyptien ; Israël commença à se plaindre de l’« antisémitisme » en Égypte.

Trois semaines après l’attaque, Khrouchtchev, le leader communiste soviétique, en état d’ébriété, se moqua des ambassadeurs britannique et français lors d’une réception à l’ambassade polonaise à Moscou : « Vous dites que nous voulons la guerre, mais vous vous êtes mis maintenant dans une situation que je qualifierais de stupide…

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Vous nous avez donné une leçon en Égypte ». Qui pourrait le contredire ?

Une semaine plus tard, le New York Times jaugea la balance : « la Grande-Bretagne et la France ont misé et semblent être en train de perdre de façon désastreuse… jusque là, Israël est sortie de la crise dans une position relativement meilleure » (25 nov.).

La même édition rapportait en détails les remarques d’un membre du Parlement israélien, un certain M. Michael Hazani : « M. Hazani a expliqué sa théorie selon laquelle l’échec de la Grande-Bretagne et de la France à conclure leur objectif concernant le canal de Suez était une chance pour Israël… Les Israéliens se sentent moins isolés aujourd’hui qu’avant leur percée du 29 octobre au Sinaï qui leur a aliéné leurs amis et a hérissé leurs ennemis partout dans le monde… Les Israéliens se sont délectés de leur nouvelle amitié avec la France qui a fourni les outils qui ont permis à leurs forces armées de battre les Égyptiens à plates coutures… Il y a quelques semaines, les Israéliens ont eu peur quand ils ont craint d’avoir amené le monde au bord d’une guerre thermonucléaire. La panique initiale s’est dissipée, les menaces sont vues comme des tactiques dans une guerre des nerfs… Certains membres de la Knesset ont dit qu’Israël aussi pouvait jouer à ce jeu… alors ils demandent pourquoi Israël n’exploiterait pas sa capacité actuelle à embêter le monde pour inciter la grande puissance à pousser l’Égypte et les autres États arabes à négocier la paix ».

Ces phrases montrent peut-être au lecteur le peu d’espoir de répit qu’aura le monde tant que l’aventure sioniste ne sera pas liquidée. Le fiasco est le sort inévitable de tous ceux qui s’associent avec elle, parce que sa propre fin inévitable sera un fiasco, mais le poids de chaque désastre doit retomber, et retombera toujours sur ces associés, non sur les auteurs originels de cette folle ambition. Aujourd’hui, elle affecte toutes les relations sensées entre les nations, contrariant celles qui n’ont aucun motif de discorde, en fourvoyant certaines dans des entreprises qui ne peuvent en aucun cas leur apporter quelque chose de positif, et suscitant des menaces de guerre mondiale chez d’autres.

Dans le cas de l’Angleterre, qui par cet acte fut réimpliquée dans le marasme d’où M. Ernest Bevin l’avait extirpée en 1947-8, les pénalités furent si lourdes que, si le processus entier de l’implication dans le sionisme était comparé à treize marches jusqu’à la potence, on pourrait dire qu’on en était à la douzième ; la seule chose qui pouvait arriver de pire à l’Angleterre à cause de cela était la calamité suprême. Déjà, à cette occasion, l’avertissement à propos de la désintégration du Commonwealth fut entendu du plus haut lieu en-dehors de l’île Britannique elle-même, et à aucune autre occasion cela avait-il été ne serait-ce qu’un vague péril. L’Angleterre fut mise sur le banc des accusés, aux côtés d’Israël (et de la France) face au monde, et

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réprimandée comme un gredin. Elle découvrit soudain des menaces alarmantes s’élevant de tous côtés. Aucun des objectifs annoncés n’était atteint, ses forces armées ne furent même pas autorisées à accomplir ne serait-ce qu’une tâche rebutante, rien ne restait que la honte. À la fin, des impôts plus lourds, des privations, et des épreuves s’abattirent sur le pays, comme prix à payer - et c’était en vérité un tribut de plus à Sion.

Une chose est claire dans tout cela ; rien de tout cela n’aurait pu se produire sans l’État fondé en 1948. Si une guerre générale avait eu lieu, elle aurait été débutée par Israël ; si elle devait encore survenir à cause de cette affaire (et c’est toujours une possibilité ouverte au moment où je termine ce livre), elle devrait être débutée par Israël.

Pour ma part, si j’avais pu me persuader que l’attaque britannique de l’Égypte fut réellement motivée par l’inquiétude concernant les intérêts britanniques, je l’aurais acceptée, persuadé que le gouvernement britannique savait des choses que j’ignorais, qui d’une manière ou d’une autre justifiaient ce qui semblait, selon toute apparence extérieure, indéfendable et voué à l’échec. Je ne peux me persuader d’une telle chose. Ce n’était que le dernier faux pas dans la tragédie d’erreurs qui commença avec l’engagement britannique originel envers le sionisme en 1903 ; j’ai retracé toutes ces erreurs dans ce livre.

Je pense que cela est clairement implicite, d’après ce qu’on entendit sur les bancs du gouvernement à la Chambre des communes à l’issue du fiasco. Sir Anthony Eden étant en Jamaïque, la tâche de la justification échoua à ses collègues et l’un d’eux, M. Anthony Head, le ministre de la Défense, ne fit aucunement reposer la justification sur un intérêt britannique, mais sur l’affirmation d’avoir évité « une Israël paralysée, un Tel Aviv bombardé et un monde arabe uni » (une fois encore, je n’ai pas le texte, je cite le New York Times ; je considère que les politiciens doivent être en accord avec ce que le monde comprend d’après leurs propos).

Or, le corollaire de ce qu’ils affirment avoir accompli est un monde arabe désuni, un Port-Saïd bombardé, et une Égypte endommagée (parmi ces trois choses une seule a été accomplie - le bombardement ; les autres n’ont pas été réalisées). Quel intérêt britannique peut-il être servi en désunissant le monde arabe et en paralysant l’Égypte? Quel Anglais aurait-il soutenu cette action si elle lui avait été posée en ces termes avant d’être entreprise? Quand l’argument de soutien à « l’accomplissement des aspirations sionistes » fut-il jamais exposé à l’électeur britannique en ces termes-là ?

Dans certaines maladies, la médecine moderne est à même d’identifier la source originelle de l’infection, la première plaie. La

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source première de tous ces maux, alors qu’ils atteignaient leur point culminant dans les actes des 29 et 30 octobre 1956, est manifestement le sionisme ; chaque acte, depuis qu’il prit forme en tant que force politique dans les ghettos de Russie quelque quatrevingts ans plus tôt, mena le monde au bord d’une guerre universelle, d’où nul ne savait lequel de leurs amis de la veille serait l’ennemi du lendemain. C’était vraiment « la duperie des nations » à son maximum.

Le temps pourra-t-il distiller quelque chose de positif de tout cela ? Manifestement, il le peut, et le fera ; il n’y a que pour les contemporains que l’agitation gratuite dans laquelle nous vivons est rageante. Les premiers signes de l’amélioration longtemps différée commencent à se montrer. Les nations qui se trouvent dans les chaînes du communisme révolutionnaire commencent à s’en libérer ; les peuples d’Europe de l’Est peuvent encore s’en sortir par leurs propres moyens, et le reste de l’Occident captif aussi, en suivant leur exemple. Je crois que les juifs du monde entier commencent eux aussi à voir l’erreur du sionisme révolutionnaire, le jumeau de l’autre mouvement destructeur, et à la fin de ce siècle, ils décideront enfin de se mêler au commun des mortels103.

Les événements d’octobre et novembre 1956 eux-mêmes ont fourni un chapitre de conclusion pertinent à ce livre104. Je crois qu’ils ont également ajouté une preuve convaincante à son argumentation.

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80. L’extraction des juifs des États-Unis, bien qu’essentielle au « rassemblement des exilés », appartient manifestement à un stade ultérieur du processus et dépendrait du succès de la phase suivante, le « rassemblement » des juifs du territoire soviétique et des pays du Maghreb. Après cela, quelqu’étrange que paraisse l’idée aux Américains et aux Britanniques d’aujourd’hui, il faudrait qu’il y ait une « persécution juive » en Amérique, et cela serait produit par la méthode propagandiste utilisée dans le passé et appliquée impartialement pays après pays, y compris en Russie, Pologne, Allemagne, France, Espagne et Grande- Bretagne. Le Dr Nahum Goldman, leader de l’Organisation sioniste mondiale, dit devant un public israélien, en octobre 1952, qu’il n’y avait qu’un problème que le sionisme devrait résoudre s’il voulait réussir : « Comment faire émigrer en Israël les juifs des pays où ils ne sont pas persécutés ». Il dit que ce problème était « particulièrement difficile aux États-Unis parce que les États-Unis sont moins un pays de persécution juive, ou de toute perspective de persécution juive, que n’importe quel autre pays » (Johannesburg Zionist Record, 24 oct. 1952). Le lecteur remarquera qu’il n’y a aucun pays sans « persécution juive » ; il y a seulement des degrés de « persécution juive » dans les différents pays. (retournez)

81. Cela est essentiel à la stratégie électorale dictée, bien qu’originellement non conçue par lui, par le colonel House. Le problème des bâtons dans les roues qu’elle pose fait l’objet de nombreuses illusions citées précédemment, par ex : « … Notre échec à nous accorder avec les sionistes pourrait nous faire perdre les États de New York, de Pennsylvanie et de Californie ; J’ai pensé qu’il était grand temps que quelqu’un prenne en considération la possibilité de ne pas perdre les États-Unis » (M. James J. Forrestal) ; « Niles avait dit au président que Dewey était sur le point de sortir une déclaration en faveur de la position sioniste et à moins que le président ne le devance, les démocrates perdraient l’État de New York » (le secrétaire d’État James J. Byrnes) ; « Le Parti démocrate refuserait d’abandonner les avantages du vote juif » (le gouverneur Thomas E. Dewey). (retournez)

82. La question de savoir si le sénateur Taft, fût-il devenu président, se serait révélé capable de mener la politique alternative claire qu’il exposait ici dans ses grandes lignes ne trouvera désormais jamais de réponse. Dans le cas particulier du sionisme, qui joue un rôle essentiel dans toute l’affaire dénoncée ici par lui, il fut aussi soumis que tous les autres hommes politiques importants, et sans doute ne discerna-t-il pas la relation inséparable entre le sionisme et l’ambition de l’« État mondial » qu’il fustigeait. On demanda à un important sioniste de Philadelphie, un certain M. Jack Martin, de devenir le « secrétaire exécutif » du sénateur Taft en 1945, et il rapporte que sa première question à M. Taft fut : « Sénateur, que puis-je vous dire à propos des aspirations du sionisme ? » On rapporte la réponse de Taft, dans une veine balfouréenne ou wilsonienne : « Qu’y a t’il à expliquer ? Les juifs sont persécutés. Ils ont besoin d’une terre, d’un gouvernement à eux. Nous devons les aider à obtenir la Palestine. En outre, cela contribuera incidemment à la paix mondiale… » Le contraste entre ce discours typique d’un politicien en chef courant après les voix, et le commentaire éclairé donné plus haut est évident. M. Martin, qui est décrit dans l’article cité ici (Jewish Sentinel, 10 juin 1954) comme l’« alter ego » et héritier du sénateur Taft, fut invité après la mort de Taft par le président Eisenhower à devenir son « assistant, conseiller et liaison avec le Congrès ». Commentaire de M. Martin : « Le président Eisenhower est disposé à écouter volontiers votre opinion et il est facile de le conseiller». (retournez)

83. Cette révélation significative est tirée d’un livre, Eisenhower : The Inside Story [Eisenhower : l’histoire vue de l’intérieur - NdT], publié en 1956 par un correspondant à la Maison Blanche - M. Robert J. Donovan - manifestement selon les voeux de M. Eisenhower, car il est basé sur les comptes rendus des réunions du Cabinet et d’autres documents concernant des rapports hautement confidentiels au plus haut niveau. Rien de la sorte ne fut jamais publié en Amérique auparavant, et l’auteur n’explique pas les raisons de cette innovation. Certaines choses y sont rapportées, que les membres du Cabinet du président n’auraient probablement pas dites s’ils avaient su qu’elles seraient publiées - par exemple, la suggestion facétieuse qu’un certain sénateur Bricker et ses partisans (qui réclamaient avec force un amendement constitutionnel pour limiter le pouvoir du président de conclure des traités, et ainsi le soumettre à un fort contrôle de la part du Congrès) soient atomisés. (retournez)

84 Les événements nationaux les plus significatifs du premier mandat du président Eisenhower (à la lumière du fait que son élection exprimait principalement le désir des votants américains, en 1952, de redresser l’infestation communiste avérée au gouvernement et de combattre la menace d’agression communiste) furent la condamnation de l’instigateur le plus obstiné, le sénateur McCarthy, condamnation qui reçut les encouragements et l’approbation personnels du président, et la décision de la Cour suprême des États-Unis en 1955, qui niait le droit des quarante-huit États individuels de prendre des mesures contre la sédition et réservait cela au gouvernement fédéral. Cette décision, si elle entre en vigueur, réduira grandement le pouvoir de la République à « lutter contre la sédition » (les «Protocoles»). Le troisième événement national important fut la décision de la Cour suprême contre la ségrégation des élèves blancs et noirs dans les écoles publiques, qui de fait était dirigée contre le Sud et, si elle était appuyée, pourrait produire des résultats violemment explosifs. Ces événements attirèrent l’attention sur la position spéciale occupée aux États- Unis par la Cour suprême, à la lumière du fait que les nominations y sont politiques, et non la récompense d’une vie de service dans une magistrature indépendante. Dans ces circonstances la Cour suprême, sous le président Eisenhower, montra des signes d’évolution en un corps politique suprême (Politbüro suprême serait un mot assez approprié), capable de prévaloir sur le Congrès. L’adjoint du ministre de la Justice des États-Unis, M. Simon E. Sobeloff, déclara en 1956 : « Dans notre système, la Cour suprême n’est pas seulement le juge des controverses, mais dans le processus de jugement, elle est en de nombreux points le décisionnaire final de la polique nationale » (cité dans le New York Times, 19 juillet 1956). (retournez)

85. Cependant, quatorze mois plus tard (4 janv. 1957), après l’attaque de l’Égypte, M. Hanson Baldwin, écrivant depuis le Moyen-Orient, confirma la continuité de la prédominance militaire d’Israël « sans défense»: «Israël est, depuis 1949, la puissance militaire indigène la plus forte de la région. Elle est plus forte aujourd’hui, comparée aux États arabes, qu’elle ne le fut jamais auparavant ». (retournez)

86. «La fourniture d’armes par la Tchécoslovaquie soviétique fit que les juifs d’Israël et d’ailleurs se tournèrent vers les Soviétiques en tant que libérateurs », Jewish Times de Johannesbourg, 24 déc. 1952 (retournez)

87. «L’État d’Israël sera défendu si nécessaire avec une aide extérieure massive », le gouverneur Harriman, New York Times, 23 mars 1955. (retournez)

88. Entre-temps, un autre livre était sorti : The U.N. Record [Les Archives de l’ONU - NdT] de M. Chesly Manly, qui racontait que quatre officiels supérieurs du service diplomatique américain, rappelés du Moyen-Orient à Washington durant les élections au Congrès de 1946 afin d’être consultés sur la question palestinienne, avaient exposé le cas arabe et reçu cette réponse du président Truman : « Désolé, messieurs, je dois répondre à des centaines de milliers de personnes qui attendent avec impatience la victoire du sionisme ; je n’ai pas des centaines de milliers d’Arabes parmi mes électeurs ». La soumission de M. Truman à la pression sioniste lorsqu’il était en fonction, et ses plaintes sur le sujet une fois en retraite, sont ainsi archivées toutes les deux. (retournez)

89. Voilà un exemple, dans la nouvelle génération, de « l’interférence étrangère, entièrement venue des juifs » dont le Dr Weizmann se plaignait amèrement à la génération prédécente. Le Conseil [américain pour le judaïsme] craignait et combattait l’implication de l’Occident dans le chauvinisme sioniste. Il était dirigé par M. Lessing Rosenwald, ancien président de la grande maison de commerce de Sears, Roebuck [and Company - NdT], et le rabbin Elmer Berger. Lors d’un meeting à Chicago à cette période, il [le Conseil] décida que les mémoires du président Truman « confirment que les pressions sionistes - cataloguées comme venant des juifs américains - étaient excessives au-délà de la bienséance » et « offraient le spectacle de citoyens américains promouvant les causes d’un nationalisme étranger ». Le lecteur, s’il se réfère aux chapitres précédents, verra avec quelle précision la situation en Angleterre en 1914-1917 avait été reproduite en Amérique en 1947-8 et 1955-6. (retournez)

90. Six mois plus tard, la veille de l’élection présidentielle et immédiatement avant l’attaque israélienne de l’Égypte, le New York Daily News fit appel à « l’électeur juif » en récapitulant les services républicains suivants : « L’administration Eisenhower n’a pas eu la possibilité de fournir Israël en matériel lourd, à cause de diverses situations internationales délicates. Néanmoins, l’administration, en avril et mai derniers, a bien aidé Israël à obtenir 24 avions Mystère français, et le mois dernier le Canada a annoncé la vente de 24 jets Sabre à Israël. Les représentants israéliens ont déclaré que M. Dulles a activement utilisé l’influence du gouvernement des États-Unis pour promouvoir les ventes d’avions français et canadiens ». (retournez)

91. Pendant le soulèvement hongrois contre les Soviétiques en octobre-novembre 1956, plusieurs correspondants américains, revenant des champs de bataille, et des fugitifs hongrois attribuèrent dans une large mesure la responsabilité de cette tragédie à cette « Voix ». Les Américains avaient trouvé un peuple hongrois sûr de l’intervention américaine ; les Hongrois se plaignaient que, bien que le mot « révolte » n’ait pas été utilisé, dans les faits la « Voix » incita et instigua la révolte et maintint la perspective d’un secours américain. En même temps, le président Eisenhower disait au peuple américain : « Nous n’avons jamais conseillé aux peuples captifs de s’élever contre la force armée ». Des critiques similaires furent faites envers « Radio Free Europe », une organisation privée américaine qui opérait depuis l’Allemagne sous la licence du gouvernement ouest-allemand.
Un des premiers réfugiés hongrois à atteindre l’Amérique se plaignit que The Voice of America et Radio Free Europe, pendant des années « nous ont harcelés » pour [qu’on se] révolte, mais quand le soulèvement national est survenu, aucune aide américaine n’a été apportée (New York Times, 23 nov. 1956).
Le gouvernement ouest-allemand ordonna une enquête sur les programmes de Radio Free Europe durant le soulèvement hongrois (elle opérait depuis Munich) après que des accusations répandues partout eurent apparu dans la presse ouest-allemande, selon lesquelles elle avait, dans les faits, joué un rôle de provocateur ; par exemple, un texte préparé le 5 nov. 1956 alors que le soulèvement était en cours, dit au peuple hongrois qu’« une aide militaire occidentale ne pourrait être espérée avant 2 heures du matin demain », une suggestion évidente qu’elle arriverait bien à un moment (N.Y.T., 8 déc. 1956). L’insinuation la plus grave d’un but provocateur apparut dans les déclarations faites par Mme Anna Kethly, directrice du parti social démocrate hongrois, qui s’enfuit durant la courte libération du pays. Elle dit que pendant qu’elle était en prison en 1952, Radio Free Europe, dans un programme aux pays captifs, dit « que je menais le mouvement de libération souterrain depuis ma cellule en prison et cita les noms de plusieurs leaders du mouvement présumé. On me fit sortir de prison où j’avais été en isolement complet depuis 1950, et je fus confrontée à des centaines d’anciens militants du parti social démocrate et des syndicats. Tous avaient été torturés par la police politique pour avouer leur participation au complot anti-communiste non-existant. Il n’y avait absolument rien de vrai dans les reportages de Radio Free Europe ; j’avais vécu en complet isolement depuis mon arrestation et je n’avais vu personne. Radio Free Europe a commis une faute grave en faisant croire au peuple hongrois que l’aide militaire occidentale arrivait, quand aucune aide n’était prévue » (N.Y.T., 30 nov. 1956).
Ainsi l’Amérique parlait-elle avec deux voix, celle du président s’adressant officiellement au monde, et celle de la « Voix » parlant en des termes plus dangereux - « par-dessus les oreilles » du peuple américain - aux populations du monde. À cette période, le New York Times décrivait la ligne officielle : « Les hauts représentants ont bien fait comprendre en privé que l’administration souhaite éviter d’être identifiée uniquement avec Israël et donc abandonner les pays arabes à l’influence de l’Union soviétique ». On ne pouvait s’attendre à ce que les populations arabes, s’ils entendirent jamais parler de ces annonces « privées », les croient, au vu de ce qu’ils entendaient par « The Voice of America » sur la libération des juifs de « la captivité égyptienne ». (retournez)

92. Le fait que cette « pression » fut utilisée est authentique. Elle fut rapportée partout dans la presse américaine sous l’angle d’un succès américain ; par exemple : « Le secrétaire d’État Dulles était sûr qu’il pouvait gagner l’amitié des Arabes, comme lorsqu’il a fait pression sur les Britanniques pour qu’ils quittent l’Égypte, tout en conservant l’amitié des Israéliens (New York Times, 21 oct. 1956). (retournez)

93. La même ombre fut projetée avec une intention délibérée sur le couronnement de la reine Élisabeth en 1953. Au cours du déroulement du défilé, la reine nouvellement couronnée passa en revue à Spithead un grand rassemblement de navires de guerre de tous les pays qui avaient été en mesure d’en envoyer un. Parmi les nombreuses embarcations, entre lesquelles le navire de la reine passait, s’en trouvait une isolée, dont l’équipage ne l’acclama pas (une erreur, affirma-t-on ultérieurement en guise d’explication). Ce vaisseau soviétique était le Sverdlov - du nom de Iakov Sverdlov, l’assassin de la famille Romanov, en l’honneur duquel la ville où ils furent massacrés, Ekaterinbourg, fut renommée Sverdlovsk. (retournez)

94. L’inévitable reproche associé d’« antisémitisme », fut aussi émis contre lui durant la campagne électorale. Un rabbin qui le connaissait bien s’avança pour le défendre contre cela. (retournez)

95 J’avais à l’esprit ce que les hommes politiques américains connaissent comme « la loi Farley ». Du nom d’un responsable de parti exceptionnellement malin, M. James A. Farley - considéré comme ayant été l’instigateur des premiers triomphes électoraux de M. Roosevelt - la base de cette « loi » est que les électeurs américains ont déjà décidé à la mi-octobre pour qui ils vont voter, et seuls le décès de leur candidat, la guerre ou un gros scandale avant le 6 novembre pourraient les faire changer d’avis. [Selon cette loi, il est inutile de faire campagne après le jour férié du Labor Day - Fête américaine du Travail, chaque 1er lundi de septembre - parce que les électeurs ont déjà fait leur choix à cette période. En d’autres termes, celui qui est premier dans les sondages le jour du « Labor Day », gagnera les élections - NdT]
Le matin suivant l’attaque israélienne de l’Égypte, M. John O’Donnell écrivit : « Les portesparoles du département d’État au Pentagone » (le ministère de la Guerre), « , où l’on est inquiet, et les sièges des deux partis conviennent que les Israéliens ont lancé leur attaque sur l’Égypte parce qu’ils étaient convaincus que les États-Unis ne prendraient aucune mesure dans une guerre israélienne si proche des élections présidentielles… La rumeur arriva jusqu’aux sièges des partis politiques, comme quoi les sionistes américains avaient informé Tel Aviv qu’Israël réussirait probablement mieux sous l’administration démocrate de Stevenson et Kefauver que sous le régime républicain d’Eisenhower et Nixon » (New York Daily News). (retournez)

96. Au moment exact de l’invasion de l’Égypte, un autre massacre d’Arabes fut perpétré en Israël, en un point très éloigné de la frontière égyptienne, à savoir la frontière avec la Jordanie, de l’autre côté d’Israël. 48 Arabes - hommes, femmes et enfants - du village de Kafr Kassem, furent tués de sang froid. Ce nouveau Deir Yassin ne pouvait être pris par les Arabes, à l’intérieur ou à l’extérieur d’Israël, que comme l’avertissement symbolique que le sort de la « destruction totale… homme, femme et enfant… ne laisse rien en vie qui respire » attendait chacun d’entre eux, car ces personnes faisaient partie de la petite population arabe qui était restée en Israël après Deir Yassin et la création du nouvel État. L’acte fut reconnut officiellement par le Premier ministre israélien, M. Ben Gourion, six semaines plus tard (12 déc.) - après que la nouvelle fut largement répandue, et qu’elle fit l’objet d’une protestation arabe à destination des Nations unies (où elle semble avoir été ignorée jusqu’à la date où j’ai ajouté cette note de bas de page). Ben Gourion dit alors au Parlement israélien que les meurtriers « encouraient un procès », mais comme les Arabes se souvenaient que les meurtriers de Deir Yassin, après avoir « encouru un procès » et avoir été condamnés, avaient été libérés immédiatement et fêtés publiquement, ce fut un piètre réconfort pour eux. Jusqu’à la date de cette note de bas de page (20 déc.), je n’ai vu aucune allusion - parmi les millions de mots qui ont été publiés - au sort des 215 000 Arabes en fuite (rapport de l’ONU, avril 1956) qui étaient rassemblés dans la Bande de Gaza lorsque les Israéliens l’attaquèrent ainsi que l’Égypte. Le gouvernement israélien a annoncé qu’il n’abandonnerait pas ce territoire ; plus tôt, il avait annoncé qu’il ne permettrait sous aucune condition le retour des réfugiés arabes en Israël. Donc, le sort de ce quart de million de personnes, qui à n’importe quelle époque passée aurait reçu la compassion indignée du monde, a été totalement ignoré. Sans doute sont-ils mentionnés dans la seule déclaration que j’ai vue sur le sujet : la lettre de onze États arabes aux Nations unies du 14 déc. déclarant que « Des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ont été impitoyablement assassinés de sang froid », mais il semble qu’il y ait peu d’espoir pour une enquête impartiale ou une confirmation, et la lettre arabe elle-même dit : « Toute l’histoire ne sera jamais racontée et l’étendue de la tragédie ne sera jamais connue ». Toutefois, dans le cas particulier de Kafr Kassem, les faits sont authentiquement avérés. (retournez)

97. Cette méthode est l’exact opposé de celle par laquelle le monde serait gouverné selon les plans du « gouvernement mondial » exposés à New York par M. Bernard Baruch et son école d’« internationalistes ». Leur concept pourrait en fait s’appeler le « super-colonialisme » et repose entièrement sur une organisation rigide, la force et les sanctions. Prenant la parole lors de la consécration d’un mémorial dédié au président Woodrow Wilson à la cathédrale de Washington en décembre 1956, M. Baruch évoqua à nouveau sa demande en ces termes - étonnamment contradictoires: « Après deux guerres mondiales… nous recherchons toujours ce que Wilson recherchait. “Un régime de loi basé sur le consentement des gouvernés… ce régime de loi ne peut exister que lorsqu’il existe une force pour le maintenir… voilà pourquoi nous devons continuer à insister que tout accord sur le contrôle de l’énergie atomique et sur le désarmement soit accompagné de dispositions strictes pour l’inspection, le contrôle et la punition des transgresseurs” ». (retournez)

98. Les correspondants du Times, de Reuters et d’autres journaux et agences rapportèrent par la suite qu’ils avaient vu des avions français et des officiers de l’air français en uniforme sur les terrains d’aviation israéliens pendant l’invasion, et à la « fête de la victoire » donnée à Tel Aviv par l’armée de l’air israélienne, où le commandant israélien, le général Moshé Dayan, était présent. Ces rapports concordèrent sur un point important : l’armée de l’air française était présente pour « couvrir » ou fournir « un bouclier aérien » à Tel Aviv si elle était attaquée par la force aérienne égyptienne. Reuters rapporta que les mêmes officiers de l’air français admirent avoir attaqué les chars égyptiens durant la bataille du Sinaï. En ce qui concernaient les Français, par conséquent, le prétexte d’une descente sur le canal de Suez afin de « séparer » les belligérants se révéla faux, les officiers et les avions français ayant été vus derrière les lignes israéliennes en Israël et au Sinaï durant les combats. Le correspondant au Times rapporta « un engagement de la part de la France à faire de son mieux, si la guerre éclatait entre Israël et l’Égypte, pour empêcher toute action contre Israël selon les termes de la déclaration tripartite de 1950 et pour veiller à ce qu’Israël ait des armes appropriées pour combattre ». La déclaration de 1950 engageait impartialement la France « à opposer l’usage de la force ou la menace de la force dans cette région. Les trois gouvernements, s’ils découvraient que l’un de ces États se préparait à violer les frontières ou les lignes de démarcation de l’armistice, prendraient… des mesures immédiatement… afin d’empêcher de telles violations ». (retournez)

99. À partir de ce moment, suivant l’exemple montré par le président américain, le poids de la condamnation fut transféré par étapes d’« Israël » à « Israël, la Grande-Bretagne et la France », puis à « la Grande-Bretagne et la France », et en dernière étape, à « la Grande- Bretagne » (rappelant ainsi la transformation effectuée auparavant dans le cas de la persécution des hommes par Hitler, qui commença par « la persécution des opposants politiques », puis devint « la persécution des opposants politiques et des juifs », ensuite « des juifs et des opposants politiques », et enfin, « des juifs »). Un commentaire officiel caractéristique de cette période fut émis par Mme Eleanor Roosevelt, qui était généralement acceptée en Amérique comme la voix de son mari, le feu président. Elle dit lors d’une conférence de presse trois jours avant les élections présidentielles (elle faisait campagne pour le candidat démocrate) : « Je ne considère pas qu’Israël soit un agresseur ; elle a agi en légitime défense… Je crois que la Grande-Bretagne et la France sont techniquement coupables d’agression » (New York Times, 4 nov. 1956). (retournez)

100. Bien sûr, les États-Unis sont les occupants, par la conquête ou l’achat, de colonies britanniques, hollandaises, françaises et espagnoles, et de vastes territoires mexicains et russes ; seule la quasi-extirpation, durant l’existence de la république américaine, des habitants originels de ce large territoire donne de nos jours une illustration qui diffère de celle des colonies britanniques, hollandaises, françaises et espagnoles d’aujourd’hui, avec leurs millions de « populations coloniales ». Les possessions américaines d’outre-mer, par la conquête ou l’achat, sont peu nombreuses. La zone du canal de Panama, qui est sous souveraineté permanente américaine, est un cas à part ; si elle prouve quoi que ce soit par rapport au canal de Suez et à la Grande-Bretagne, elle démontre seulement les avantages d’un « titre de propriété » valable et d’une contiguïté militaire. (retournez)

101 « Le président dit qu’il ferait part au maréchal » (Staline) « d’une chose indiscrète, puisqu’il ne souhaitait pas la dire devant le Premier ministre Churchill… Les Britanniques étaient un peuple bizarre qui voulaient avoir le beurre et l’argent du beurre… Il suggéra l’« internationalisation » de la colonie britannique de Hong Kong et le placement de la Corée sous une administration d’où les Britanniques seraient exclus. Staline indiqua qu’il ne pensait pas que cela était une bonne idée et ajouta que « Churchill nous tuerait". Quand les problèmes politiques d’après-guerre furent soulevés, il adopta souvent des positions qui étaient anti-britanniques ». (New York Times, 17 mars 1955) (retournez)

102. Deux semaines plus tard, après que ce chapitre fut terminé, le même journal écarta la Grande-Bretagne comme étant désormais « une puissance de seconde classe.» (retournez)

103. Un développement qui a peut-être été présagé par un compte rendu (s’il est exact) publié dans le New York Times le 30 décembre 1956, selon lequel « moins de 900 sur les 14 000 juifs qui ont fui la Hongrie… ont décidé de s’établir en Israël, la « grande majorité » préférant aller en Amérique ou au Canada. D’un autre côté, s’ils suivent l’exemple de leurs prédécesseurs, ils y augmenteront la masse des juifs de l’est « explosifs » dont le transfert, au cours des derniers soixante-dix ans, a provoqué la situation actuelle ; l’incitation antiaméricaine de ces juifs a été montrée dans les citations d’autorités juives au chapitre précédent. (retournez)

104. Quant à l’affaire de Suez, c’est le président Eisenhower qui nous a fourni une note de bas de page pertinente, quand, le 5 janvier 1957, il a demandé au Congrès l’autorité permanente d’utiliser les forces armées des États-Unis contre « l’agression armée déclarée de toute nation contrôlée par le communisme international » au Moyen-Orient. Il a donc envisagé de faire exactement ce pour quoi il avait condamné le gouvernement Eden. Un exemple d’agression « déclarée » fut sans doute la destruction du Maine dans le port de La Havane ; l’explosion fut « déclarée » et elle fut attribuée à l’Espagne. Avant et après l’attaque de l’Égypte, la presse internationale commença à accuser une nation arabe après l’autre d’être « contrôlée » par le communisme international, et la requête du président Eisenhower au Congrès ouvre à nouveau la perspective que l’extirpation moultes fois annoncée du communisme pourrait se révéler, en réalité, être une attaque envers les Arabes, non envers le communisme. La description : « contrôlée par le communisme », est impossible à définir ou à prouver, et sert seulement à fausser la vérité par la propagande. Par exemple, le New York Times publia le 2 déc. 1956 des photos de « chars russes capturés par les Israéliens » pendant l’attaque de l’Égypte. Les objections des lecteurs l’amenèrent à admettre que les chars étaient en fait américains. La question de savoir s’ils furent pris aux Égyptiens reste ouverte, n’importe qui peut prendre un char en photo et mettre une légende. Israël fut à l’origine approvisionnée avec des armes soviétiques, mais on ne dit pas qu’à cause de cela, elle est « contrôlée par le communisme international ».

La nouvelle de l’acte du président Eisenhower a été suivie par une montée brusque des diverses actions israéliennes à la Bourse américaine et par des sermons élogieux dans plusieurs synagogues de New York. Une raison possible à cela est le fait que le président s’est engagé à agir militairement au Moyen-Orient uniquement en réponse à la demande de « toute nation ou groupe de nations » attaqué. Comme l’Égypte a largement été déclarée comme étant «l’agresseur» dans l’attaque envers elle-même d’octobre 1956, cette stipulation, une fois encore, reste ouverte à de nombreuses interprétations, au besoin. Si ces paroles étaient sincères, elles impliquent que les forces américaines auraient dû être utilisées, sur demande égyptienne, pour repousser l’attaque israélienne d’octobre 1956. Cela est difficile à imaginer, c’est le moins que l’on puisse dire. Il est difficile de se représenter une intervention militaire américaine en réponse à une demande de tout État du Moyen- Orient en dehors d’Israël; toutefois, les temps changent et tout est possible.(retournez)

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Chap 46,2
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